Les visiteurs que l’on recevait au château se composaient des habitants de la bourgade et de la noblesse de la banlieue : ces honnêtes gens furent mes premiers amis. Notre vanité met trop d’importance au rôle que nous jouons dans le monde. Le bourgeois de Paris rit du bourgeois d’une petite ville ; le noble de cour se moque du noble de province ; l’homme connu dédaigne l’homme ignoré, sans songer que le temps fait également justice de leurs prétentions, et qu’ils sont tous également ridicules ou indifférents aux yeux des générations qui se succèdent.
Le premier habitant du lieu était un M. Potelet, ancien capitaine de vaisseau de la compagnie des Indes[1], qui redisait de grandes histoires de Pondichéry. Comme il les racontait les coudes appuyés sur la table, mon père avait toujours envie de lui jeter son assiette au visage. Venait ensuite l’entrepositaire des tabacs, M. Launay de La Billardière[2], père de famille qui comptait douze enfants, comme Jacob, neuf filles et trois garçons, dont le plus jeune, David, était
- ↑ Dans cette peinture de la petite société de Combourg, Chateaubriand a été scrupuleusement exact, comme il le sera du reste en toute circonstance, ainsi qu’on le verra de plus en plus en avançant dans la lecture des Mémoires. — Noble Me François-Jean-Baptiste Potelet, seigneur de Saint-Mahé et de la Durantais, après avoir servi dans la marine de la compagnie des Indes, épousa, le 6 octobre 1767, à Combourg, Marie-Marguerite de Lormel. Sa fille aînée, Marie-Marguerite, née en 1768, la même année que Chateaubriand, se maria en 1789 à Pierre-Emmanuel-Vincent-Marie de Freslon de Saint-Aubin, président des requêtes au Parlement de Bretagne.
- ↑ Gilles-Marie de Launay, sieur de la Bliardière, d’abord procureur fiscal de Bécherel, puis sénéchal des juridictions du Vauruffier, de la vicomté de Besso et du marquisat de Caradenc, était devenu plus tard entreposeur des fermes du roi à Com-