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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

exemple. Il lut donc lentement et longuement le second point d’un sermon ; chacun s’endormit. Je ne sais par quel hasard je restai éveillé dans mon confessionnal. Le principal, qui ne me voyait que le bout des pieds, crut que je dodinais comme les autres, et tout à coup, m’apostrophant, il me demanda ce qu’il avait lu.

Le second point du sermon contenait une énumération des diverses manières dont on peut offenser Dieu. Non seulement je dis le fond de la chose, mais je repris les divisions dans leur ordre, et répétai presque mot à mot plusieurs pages d’une prose mystique, inintelligible pour un enfant. Un murmure d’applaudissement s’éleva dans la chapelle : le principal m’appela, me donna un petit coup sur la joue et me permit, en récompense, de ne me lever le lendemain qu’à l’heure du déjeuner. Je me dérobai modestement à l’admiration de mes camarades et je profitai bien de la grâce accordée.

Cette mémoire des mots, qui ne m’est pas entièrement restée, a fait place chez moi à une autre sorte de mémoire plus singulière, dont j’aurai peut-être occasion de parler.

Une chose m’humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu’elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le cœur le plus affectueux perdrait sa tendresse s’il ne se souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d’un présent qui s’écoule sans cesse ; il n’y aurait plus