Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

frappé à l’œil : une pierre m’atteignit si rudement que mon oreille gauche, à moitié détachée, tombait sur mon épaule.

Je ne pensai point à mon mal, mais à mon retour. Quand mon ami rapportait de ses courses un œil poché, un habit déchiré, il était plaint, caressé, choyé, rhabillé : en pareil cas, j’étais mis en pénitence. Le coup que j’avais reçu était dangereux, mais jamais La France ne me put persuader de rentrer, tant j’étais effrayé. Je m’allai cacher au second étage de la maison, chez Gesril, qui m’entortilla la tête d’une serviette. Cette serviette le mit en train : elle lui représenta une mitre ; il me transforma en évêque, et me fit chanter la grand’messe avec lui et ses sœurs jusqu’à l’heure du souper. Le pontife fut alors obligé de descendre : le cœur me battait. Surpris de ma figure débiffée et barbouillée de sang, mon père ne dit pas un mot ; ma mère poussa un cri ; La France conta mon cas piteux, en m’excusant ; je n’en fus pas moins rabroué. On pansa mon oreille, et monsieur et madame de Chateaubriand résolurent de me séparer de Gesril le plus tôt possible[1].

Je ne sais si ce ne fut point cette année que le

  1. J’avais déjà parlé de Gesril dans mes ouvrages. Une de ses sœurs, Angélique Gesril de La Trochardais, m’écrivit en 1818 pour me prier d’obtenir que le nom de Gesril fut joint à ceux de son mari et du mari de sa sœur : j’échouai dans ma négociation. (Note de 1831, Genève.) Ch.

    Gesril avait trois sœurs : Mmes  Colas de la Baronnais, Le Roy de la Trochardais et Le Metaër de la Racillais. Les deux dernières seules ont laissé des enfants : la famille Gesril se trouve éteinte et fondue dans Le Metaër et, par Le Roy, dans Boisguéhéneuc et du Raquet.