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Viens donc te baigner avec moi.
cri fut entendu des Français et des Natchez : les premiers en frissonnèrent ; les seconds prévirent la ruine de leur patrie.

Lorsque René revint de ses courses, il fut frappé du désordre de sa cabane, sans en pouvoir pénétrer la cause. Nourrie dans la religion des Indiens, Céluta tira de ce désordre un présage funeste. Elle n’avait point rapporté le bonheur de son pèlerinage au désert : René était pour elle inexplicable ; elle avait cependant aperçu quelque chose de mystérieux au fond du cœur de l’homme auquel elle était unie ; mais cet homme ne lui avait point révélé ses secrets, il ne les avait racontés à personne. Après son retour à la cabane, René sembla devenir plus sombre et moins affectueux : la timide Céluta n’osait l’interroger ; elle ne tarda pas à prendre, pour de la lassitude ou de l’inconstance ce qui n’était que l’effet du malheur et d’un caractère impénétrable. Le hasard vint donner quelque apparence de réalité aux premiers soupçons de la sœur d’Outougamiz.

René traversait un jour une cyprière, lorsqu’il entendit des cris dans un endroit écarté : il court à ces cris. Il aperçoit entre les arbres une Indienne se débattant contre un Européen. À l’apparition d’un témoin, le ravisseur s’enfuit. Le frère d’Amélie avait reconnu Fébriano et Mila. « Ah ! s’écria l’adolescente en se jetant dans ses bras, si tu avais voulu m’épouser, tu n’aurais pas été obligé de venir à mon secours. Que je te remercie, pourtant ! J’ai eu si grand’peur lorsque l’homme noir m’a surprise, que j’ai fermé les yeux de toutes mes forces, dans la crainte de le voir. » René sourit ; il rassura la jeune sauvage, et lui promit de la reconduire chez son père. Il l’aida d’abord à laver son visage meurtri. Mila lui dit alors : « Que ta main est douce ! c’est tout comme celle de ma mère ! Les méchants ! ils racontent tant de mal de toi, et tu es si bon ! » Quand il se fallut quitter, Mila trouva que le chemin était si court ! Elle fondit en larmes, et s’échappa en disant : « Je ne suis qu’une linotte bleue, je ne sais point chanter pour le chasseur blanc. » Le frère d’Amélie reprit le chemin de sa cabane, et ne songea plus à cette aventure.

Elle fut bientôt connue d’Ondouré ; elle lui fournit l’occasion d’ajouter une calomnie de plus à toutes