à s’engager dans les chaînes de l’hymen, avait déjà éteint le flambeau dans la cabane de sa maîtresse, voit ses pieds rapides soudainement écrasés ; il tombe du haut d’un roc dans une terre limoneuse, où il demeure enfoncé jusqu’à la ceinture ; Tani est frappé d’un globe d’airain à la tête ; son crâne emporté se va suspendre par la chevelure à la branche fleurie d’un érable.
De tous ces guerriers, Sépine suivait Outougamiz avec le plus d’ardeur. Ce héros descendait d’Oekala, qui avait régné sur les Siminoles. Oekala eut trois fils : Nape, qui devançait les chevreuils à la course ; Téran, qui épousa Nitianis, dont les esprits stériles fermèrent le sein, et Scoute, qui fut le dernier des trois enfants d’Oekala. Scoute eut de la chaste Nibila la charmante Elisoé et le fier Alisinape, père de Sépine. Cet ardent sauvage avait promis à sa mère de lui apporter la chevelure du commandant des Français ; mais il avait négligé de faire des sacrifices aux génies, et il ne devait plus rentrer dans la cabane de ses pères. Un boulet l’atteignit dans les parties inférieures du corps. Renversé sur la terre, il se roule dans ses entrailles. Son ami, Télaza, lui tend la main pour l’aider à se relever, mais un second boulet arrache le bras secourable qui va frapper Outougamiz.
Déjà il ne restait plus que soixante guerriers de la troupe qui escaladait la colline des foudres : ils arrivent au sommet. Outougamiz, perçant à travers les baïonnettes que Folard oppose à ses efforts, s’élance le premier sur un canon, abat la tête du cyclope qui allait y porter la mèche, embrasse le tube et appelle à lui les sauvages. Là se fait un carnage épouvantable des Français et des Indiens. Folard crie aux premiers : « Quelle honte pour vous si vous étiez vaincus ! » Outougamiz crie aux seconds : « Encore un moment de courage, et à nous la victoire ! »
On entend le frémissement du sang qui se déssèche et s’évapore en tombant sur la machine rougie, pour la possession de laquelle en combat. Les décharges des mousquets et des batteries font de la colline un effroyable chaos. Tels sont les mugissements, les ténèbres et les lueurs de l’Etna, lorsque le volcan se réveille : un ciel d’airain, d’où tombe une pluie de cendre, s’abaisse sur les campagnes obscurcies, au milieu desquelles la montagne brûle comme un funèbre flambeau ; des fleuves d’un feu violet sillonnent les plaines mouvantes ; les hommes, les cités, les monuments, disparaissent, et Vulcain, vainqueur de Neptune, fait bouillonner les mers sur ses fourneaux embrasés.
Toutes les fureurs de la guerre se rassemblent autour du bronze qu’a saisi le frère de Céluta. Les Indiens tâchent d’ébranler la lourde masse et de la précipiter du haut du coteau : les uns l’embrassent par sa bouche béante ; les autres poussent avec effort les roues qui laissent dans le sol de profondes traces ; ceux-ci tournent contre les Français les armes qu’ils leur ont arrachées ; ceux-là se font massacrer sur le canon que souillent la moelle éparse, les cervelles fumantes, les lambeaux de chair, les fragments d’os. Chaque soldat, noirci par le salpêtre, est couvert du sang de ses amis et de ses ennemis. On se saisit par les cheveux ; on s’attaque avec les pieds et les mains : tel a perdu les bras qui se sert de ses dents pour combattre : c’est comme un festin de la mort. Déjà Folard est blessé ; déjà l’héroïsme de quelques sauvages l’emporte sur tout l’art européen, lorsqu’un grenadier parvient à mettre le feu au tube. Aussitôt la couleuvre de bronze dégorge ses entrailles avec un dernier rugissement : sa destinée étant accomplie, elle éclate, mutile, renverse, tue la plus grande partie des guerriers qui l’environnent. L’on n’entend qu’un cri, suivi d’un silence formidable.
Comme deux flottes puissantes, se disputant l’empire de Neptune, se rencontrent à l’embouchure de l’antique Égyptus, le combat s’engage à l’entrée de la nuit. Bientôt un vaisseau s’enflamme par sa poupe pétillante : à la lueur du mouvant incendie on distingue la mer semblable à du sang et couverte de débris ; la terre est bordée des nations du désert ; les navires, ou démâtés, ou rasés au niveau des vagues, dérivent en brûlant. Tout à coup le vaisseau en feu mugit : son énorme carcasse crève et lance jusqu’au ciel les tubes d’airain, les pins embrasés et les cadavres des matelots : la nuit et le silence s’étendent sur les ondes. Outougamiz reste seul de toute sa troupe, après l’explosion du foudre. Il se voulait jeter parmi les Français, mais le génie de l’amitié lui fait au fond du cœur cette réprimande : « Où cours-tu, insensé ? de quel fruit ta mort peut-elle être maintenant à ta patrie ? Réserve ce sacrifice pour une occasion plus favorable, et souviens-toi que tu as un ami. » Emu par ces tendres sentiments, le fils de Tabamica bondit du haut de la colline, va se plonger dans le fleuve, et, ranimé par la fraîcheur de l’onde il rejoint les guerriers qui n’avaient cessé de combattre contre d’Artaguette.
Les sachems, aussi prudents qu’intrépides, craignant d’être coupés dans leur retraite, s’étaient réunis aux bataillons de leurs fils. Tous ensemble soutenaient à peine les efforts de Beaumanoir, qui, du côté des Français, obtenait l’honneur de la journée.
Beaumanoir avait pour ancêtre ce fameux chevalier breton qui but son sang au combat des Trente. Douze générations séparaient Beaumanoir de cette source illustre : Étienne, Matthieu, Charles, Robert, Geoffroy, le second Étienne, Paul, Fran-