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…Abat la tête du cyclone qui allait porter la mèche. (page 75).
nommé Sylvestre, que le chagrin d’un amour sans espérance avait amené sur ces rives lointaines pour y chercher la gloire ou la mort. Le riche et inflexible Aranville n’avait jamais voulu consentir à l’hymen de son fils avec l’indigente Isabelle. Adario aperçut Sylvestre au moment où il essayait de dégager ses pieds d’une vigne rampante ; le sachem, levant sa massue, en décharge un coup sur la tête de l’héritier d’Aranville : la tête se brise comme la calebasse sous le pied de la mule rétive. La cervelle de l’infortuné fume en se répandant à terre. Adario insulte par ces paroles à son ennemi :

« En vérité, c’est dommage que ta mère ne soit pas ici ! elle baignerait ton front dans l’eau d’esquine ! Moi, qui ne suis qu’un barbare, j’ai grossièrement lavé tes cheveux dans ton sang ! Mais j’espère que tu pardonneras à ma débile vieillesse, car je te promets un tombeau dans le sein des vautours. »

En achevant ces mots, Adario se jette sur Lesbin ; lui enfonce son poignard entre la troisième et la quatrième côte, à l’endroit du cœur. Lesbin s’abat comme un taureau que le stylet a frappé. Le sachem lui appuie un pied sur le cou ; d’une main il saisit et tire à lui la chevelure du guerrier, de l’autre il la découpe avec une partie du crâne, et, suspendant l’horrible trophée à sa ceinture, il assaille le brave Hubert, qui l’attendait. D’un coup de son fort genou Adario lui meurtrit le flanc, et, tandis qu’Hubert se roule sur la poussière, du tranchant de sa hache l’Indien lui abat les deux bras et le laisse expirer rugissant.

Comme un loup qui, ayant dévoré un agneau, ne respire plus que le meurtre, le sachem vise l’enseigne Gédoin, et d’une flèche lui attache la main au bâton du drapeau français. Il blesse ensuite Adhémar, le fils de Charles. Habitant des rives de la Dordogne, Adhémar avait été élevé avec toute sorte de tendresse par un vieux père dont il était le seul appui, et qu’il nourrissait de l’honorable prix donné à ses armes. Mais Charles ne devait jamais presser son fils dans ses bras, au retour des pays lointains. La hache du sachem, atteignant Adhémar au visage, lui enleva une partie du front, du nez et des lèvres. Le soldat reste quelque temps debout, objet affreux, au milieu de ses compagnons épouvantés :