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à longs traits et pénètrent dans les artifices de la sagesse. Quel spectacle merveilleux ! et que l’éternité même, passée dans de telles extases, doit être courte !

Les secrets les plus cachés et les plus sublimes de la nature sont découverts à ces hommes de vertu. Ils connaissent les causes du mouvement de l’abîme et de la vie des mers ; ils voient l’or se filtrer dans les entrailles de la terre ; ils suivent la circulation de la sève dans les canaux des plantes, et l’hysope et le cèdre ne peuvent dérober à l’œil du saint la navette qui croise la trame de leurs feuilles et le tissu de leur écorce.

Mais que dis-je ! ce ne sont point de si curieux secrets qui occupent uniquement les bienheureux : Jéhovah leur donne d’autres joies et d’autres spectacles. Ils embrassent de leurs regards les cercles sur lesquels roulent les astres divers ; ils connaissent la loi qui gouverne les globes, qui les chasse ou les attire ; ils découvrent les chaînes qui retiennent ces globes, et viennent aboutir à la main de Dieu ; chaînes que son doigt pourrait rompre avec la facilité de l’ouvrier qui brise une soie. Les élus voient les comètes accourir aux pieds du Très-Haut, recevoir ses ordres, et partir avec des yeux rougis et une chevelure flamboyante, pour fracasser quelque monde. Ô Paradis ! ton chantre ne peut suffire à peindre tes grandeurs ! Ô Vertu ! prête-moi tes ailes pour atteindre à ces régions de béatitude ! Déserts, et vous, rochers, venez à moi ! prenez-moi dans votre sein, afin que, nourri loin de la corruption des hommes, je puisse, au sortir de cette misérable vie, monter au séjour de l’éternelle science et de la souveraine beauté !

Dans les régions de la grâce et de l’amour, le saint roi et les saintes patronnes de la France vont chercher le trône de Marie. Un chant séraphique leur annonce le lieu où réside la Vierge qui renferma dans son flanc celui que l’univers ne peut contenir. Ils découvrent dans une crèche resplendissante, au milieu des anges en adoration, au milieu d’un nuage d’encens et de fleurs, la libératrice du monde, ornée des sept dons du Saint-Esprit. Seule de tous les justes, Marie a conservé un corps. Une tendre compassion pour les hommes, dont elle fut la fille, une patience, une douceur sans égale, rayonnent sur le front de la mère du Sauveur.

Geneviève, Catherine, Louis, roi dans le ciel comme sur la terre, le bienheureux Las Casas, les saints martyrs de la Nouvelle-France, s’avancent au milieu de la foule céleste, qui, s’entrouvrant sur leur passage, les laisse approcher du trône de Marie ; ils s’y prosternent. Catherine :

— Mère d’Emmanuel ! seconde Ève, reine dont je suis la plus indigne des servantes, prenez pitié d’un peuple prêt à périr. Le serpent dont vous avez écrasé la tête est retourné au monde pour persécuter les hommes, et surtout l’empire nouveau de saint Louis. Ô Marie ! recevez les humbles vœux de la fille d’une nouvelle Église, de la première vierge consacrée au bord du torrent ! écoutez la prière de cette autre vierge et de ces saints profondément humiliés à vos pieds !

Divine mère de Dieu, vous ouvrîtes vos lèvres : un parfum délicieux remplit l’immensité du ciel. Telles furent vos paroles :

— Vierges du désert, charitables patronnes des deux Frances, saint roi, miséricordieux prélat, et vous, courageux martyrs, vos prières ont trouvé grâce à mon oreille : je vais monter au trône de mon Fils.

Elle dit et part comme une colombe qui prend son vol. Ses yeux sont levés vers le séjour du Christ, ses bras sont déployés en signe d’oraison ; ses cheveux flottent, portés par des faces de chérubins d’une beauté incomparable. Les plis de la tunique dont elle se revêtait sur la terre enveloppent ses pieds, qui se découvrent à travers le voile immortalisé. Les vierges et les saints tombés à genoux, regardent, éblouis, son ascension : Gabriel précède la consolatrice des affligés, en chantant la salutation que les échos sacrés répètent. Moins ravissant était dans l’antiquité ce mode de musique, expression du charme d’un ciel où le génie de la Grèce se mariait à la beauté de l’Asie.

Marie approche du Calvaire immatériel : l’aspect du paradis commence à prendre une majesté plus terrible. Là, aucun saint, quelle que soit l’élévation de son bonheur et de ses vertus, ne peut paraître ; là, les anges, les archanges, les trônes, les dominations, les séraphins, n’osent errer : les seuls chérubins, premiers nés des esprits, peuvent supporter l’ardeur du sanctuaire où réside Emmanuel. Dans ces abîmes flottent des visions comme celle qui réveilla Job au milieu de la nuit, et qui fit hérisser le poil de sa chair. Les unes ont quatre têtes et quatre ailes, les autres ne sont qu’une main, la main qui saisit Ézéchiel par les cheveux, ou qui traça les mots inexplicables au festin de Balthazar. Ces lieux sont obscurs à force de lumière, et le foudre à trois pointes les sillonne.

Un rideau, dont celui qui dérobait l’arche aux regards des Hébreux fut l’image, sépare les régions inférieures du ciel de ces régions sublimes ; toute la puissance réunie des hommes et des anges n’en pourrait soulever un pli ; la garde en est confiée à quatre chérubins armés d’épées flamboyantes. À peine ces ministres du Très-Haut ont aperçu la fille de David, qu’ils s’inclinent, et la charité ouvre sans effort le rideau de l’éternité. Le Sauveur apparaît