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fille, la déposa sur le gazon, mit sur les genoux de l’enfant le Manitou d’or et l’urne où le sang s’était desséché. Mila et Céluta, se tenant par la main, s’approchèrent du bord de la cataracte comme pour regarder au fond, et, plus rapides que la chute du fleuve, elles accomplirent leur destinée. Céluta s’était souvenue que René, dans sa lettre, avait regretté de ne s’être pas précipité dans les ondes écumantes.

Les femmes prirent dans leurs bras la fille de René laissée sur la rive ; elles la portèrent au plus vieux sachem, qui en confia le soin à une matrone renommée. Cette matrone suspendit au cou de l’enfant le Manitou d’or comme une parure. Le nom français d’Amélie étant ignoré des sauvages, les sachems en imposèrent un autre à l’orpheline, qui vit ainsi périr jusqu’à son nom.

Lorsque la fille de Céluta eut atteint sa seizième année, on lui raconta l’histoire de sa famille. Elle parut triste le reste de sa vie, qui fut courte. Elle eut elle-même, d’un mariage sans amour, une fille plus malheureuse encore que sa mère. Les Indiens chez lesquels les Natchez s’étaient retirés périrent presque tous dans une guerre contre les Iroquois, et les derniers enfants de la nation du soleil se vinrent perdre dans un second exil au milieu des forêts de Niagara.

Il y a des familles que la destinée semble persécuter : n’accusons pas la Providence. La vie et la mort de René furent poursuivies par des feux illégitimes qui donnèrent le ciel à Amélie et l’enfer à Ondouré : René porta le double châtiment de ses passions coupables. On ne fait point sortir les autres de l’ordre sans avoir en soi quelque principe de désordre ; et celui qui, même involontairement, est la cause de quelque malheur ou de quelque crime n’est jamais innocent aux yeux de Dieu.

Puisse mon récit avoir coulé comme tes flots, ô Meschacebé !