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Le vieillard, disait un colon en frappant le sachem
de son bambou, ne vaut pas une pièce d’or.
il ne voulait pas quitter René ; il espérait que Mila trouverait quelque prétexte pour quitter la grotte, et pour aller rassurer la femme infortunée.

« Mon sublime frère, dit René au jeune Sauvage avec un sourire qui rarement déridait son front, accours-tu encore pour me délivrer ? Pourquoi ces armes ? Je n’ai aucun danger à craindre : je ne suis qu’avec les morts, et tu sais qu’ils sont mes amis. Et vous, petite Mila, que cherchez-vous ? La vie sans doute ? elle n’est pas ici, et vous ne pourriez la rendre à cette foule poudreuse qui peut-être ne consentirait pas à la reprendre. »

Le religieux Outougamiz gardait le silence ; Mila tremblait, et, dans sa frayeur, se serrait fortement contre Outougamiz. Un faible rayon du jour, en pénétrant dans la caverne, ne servait qu’à en redoubler l’horreur : les ossements blanchis reflétaient une lumière fantastique ; on eût cru voir remuer et s’animer l’immobile et l’insensible dépouille des hommes. Le fleuve roulait ses ondes à l’entrée de la grotte, et des herbes flétries, pendantes à la voûte, frémissaient au souffle du vent.

Mila, en voulant s’avancer vers René, ébranla un tas d’ossements qui roulèrent sur elle. « J’en mourrai ! j’en mourrai ! » s’écria Mila : c’était comme quelque chose de singulier !

« Ma jeune amie, dit le frère d’Amélie, rassurez-vous.

— Je te jure, répliqua l’Indienne, que cela a parlé.

— Parlé ! » dit Outougamiz. »

René sourit, fit asseoir Mila auprès de lui, et prenant la main de l’enfant :

« Oui, dit-il, cela a parlé : les tombeaux nous disent que, dans leur sein, finissent nos douleurs et nos joies ; qu’après nous être agités un moment sur terre, nous passons au repos éternel. Mila est charmante, son cœur palpite de toutes les sortes d’amour ; mon admirable frère est tout âme : encore quelques soupirs sur la terre (et Dieu veuille qu’ils soient de bonheur !), le cœur de Mila se glacera pour jamais, et les cendres de l’homme à qui l’amitié fit faire des prodiges seront confondues avec la poussière de celui qui n’a jamais aimé. »

René s’interrompit, appuya son front sur sa main, et regarda couler le fleuve.