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quent au mois de juin le plus ou le moins de durée des glaces de janvier. À force de disputer à Dieu ses miracles, on est parvenu à frapper de stérilité l’œuvre entière du Tout-Puissant ; les athées ont prétendu allumer le feu de la nature à leur haleine glacée, et ils n’ont fait que l’éteindre ; en soufflant sur le flambeau de la création, ils ont versé sur lui les ténèbres de leur sein.

D’autres instincts, plus communs et que nous pouvons observer chaque jour, n’en sont pas moins merveilleux. La poule si timide, par exemple, devient aussi courageuse qu’un aigle quand il faut défendre ses poussins. Rien n’est plus intéressant que ses alarmes lorsque, trompée par les trésors d’un autre nid, de petits étrangers lui échappent et courent se jouer dans une eau voisine. La mère, effrayée rôde autour du bassin, bat des ailes, rappelle l’imprudente couvée ; elle marche précipitamment, s’arrête, tourne la tête avec inquiétude, et ne cesse de s’agiter qu’elle n’ait recueilli dans son sein la famille boiteuse et mouillée qui va bientôt la désoler encore.

Entre ces divers instincts que le Maître du monde a répartis dans la nature, un des plus étonnants sans doute, c’est celui qui amène chaque année les poissons du pôle aux douces latitudes de nos climats : ils viennent, sans s’égarer dans la solitude de l’Océan, trouver à jour nommé le fleuve où doit se célébrer leur hymen. Le printemps prépare sur nos bords la pompe nuptiale ; il couronne les saules de verdure, il étend des lits de mousse dans les grottes et déploie les feuilles du nénuphar sur les ondes, pour servir de rideaux à ces couches de cristal. À peine ces préparatifs sont-ils achevés, qu’on voit paraître les légions émaillées. Ces navigateurs étrangers animent tous nos rivages : les uns, comme de légères bulles d’air, remontent perpendiculairement du fond des eaux ; les autres se balancent mollement sur les vagues, ou divergent d’un centre commun, comme d’innombrables traits d’or ; ceux-ci dardent obliquement leurs formes glissantes à travers l’azur fluide ; ceux-là dorment dans un rayon de soleil qui pénètre la gaze argentée des flots. Tous s’égarent, reviennent, nagent, plongent, circulent, se forment en escadron, se séparent, se réunissent encore ; et l’habitant des mers, inspiré par un souffle de vie, suit en bondissant la trace de feu que sa compagne a laissée pour lui dans les ondes.