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uns nous parlent de certaines époques où l’univers entier se rajeunit ; les autres nient les grandes catastrophes du globe, telles que le déluge universel ; ils disent : « Les pluies ne sont que les vapeurs des mers ; or, toutes les mers ne suffiroient pas pour couvrir la terre à la hauteur dont parlent les Écritures. » Nous pourrions répondre que raisonner ainsi, c’est aller contre ces mêmes lumières dont on fait tant de bruit puisque la chimie moderne nous apprend que l’air peut être transmué en eau : alors quel effroyable déluge ! Mais nous renonçons volontiers à ces raisons empruntées des sciences, qui rendent compte de tout à l’esprit sans rendre compte de rien au cœur. Nous nous contenterons de répondre que pour noyer la partie terrestre du globe il suffit que l’Océan franchisse ses rivages, en entraînant l’eau de ses gouffres. D’ailleurs, hommes présomptueux, avez-vous pénétré dans les trésors de la grêle[1], et connoissez-vous les réservoirs de cet abîme où le Seigneur a puisé la mort au jour de ses vengeances ?

Soit que Dieu, soulevant le bassin des mers ait versé sur les continents l’Océan troublé, soit que, détournant le soleil de sa route, il lui ait commandé de se lever sur le pôle avec des signes funestes, il est certain qu’un affreux déluge a ravagé la terre.

En ce temps-là la race humaine fut presque anéantie ; toutes les querelles des nations finirent, toutes les révolutions cessèrent. Rois, peuples, armées ennemies, suspendirent leurs haines sanglantes et s’embrassèrent, saisis d’une mortelle frayeur. Les temples se remplirent de suppliants qui avoient peut-être renié la Divinité toute leur vie ; mais la Divinité les renia à son tour, et bientôt on annonça que l’Océan tout entier étoit aussi à la porte des temples. En vain les mères se sauvèrent avec leurs enfants sur le sommet des montagnes ; en vain l’amant crut trouver un abri pour sa maîtresse dans la même grotte où il avait trouvé un asile pour ses plaisirs ; en vain les amis disputèrent aux ours effrayés la cime des chênes ; l’oiseau même, chassé de branche en branche par le flot toujours croissant, fatigua inutilement ses ailes sur des plaines d’eau sans rivages. Le soleil, qui n’éclairoit plus que la mort au travers des nues livides, se montroit terne et violet comme un énorme cadavre noyé dans les cieux ; les volcans s’éteignirent, en vomissant de tumultueuses fumées, et l’un des quatre éléments, le feu, périt avec la lumière.

    On a excusé Josué en disant qu’il parloit exprès comme le vulgaire : il eût été aussi simple de dire qu’il parloit comme Newton. Si vous vouliez arrêter une montre, vous ne briseriez pas une petite roue, mais le grand ressort, dont le repos fixeroit subitement le système.

  1. Job, cap. XXXVIII, v. 22.