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tants des cabanes, et la fable raconta qu’Apollon étoit descendu chez les bergers.

De petites colonnes de briques servoient à conserver le souvenir des observations : jamais plus grand empire n’eut une histoire plus simple. Avec le même instrument dont il avoit percé sa flûte, au pied du même autel où il avoit immolé le chevreau premier-né, le pâtre gravoit sur un rocher ses immortelles découvertes. Il plaçoit ailleurs d’autres témoins de cette pastorale astronomie ; il échangeoit d’annales avec le firmament ; et, de même qu’il avoit écrit les fastes des étoiles parmi ses troupeaux, il écrivoit les fastes de ses troupeaux parmi les étoiles. Le soleil, en voyageant, ne se reposa plus que dans les bergeries ; le taureau annonça par ses mugissements le passage du Père du jour, et le bélier l’attendit pour le saluer au nom de son maître. On vit au ciel des vierges, des enfants, des épis de blé, des instruments de labourage, des agneaux, et jusqu’au chien du berger ; la sphère entière devint comme une grande maison rustique habitée par le pasteur des hommes.

Ces beaux jours s’évanouirent ; les hommes en gardèrent une mémoire confuse dans ces histoires de l’âge d’or, où l’on trouve le règne des astres mêlé à celui des troupeaux. L’Inde est encore aujourd’hui astronome et pastorale, comme l’Égypte l’étoit autrefois. Cependant, avec la corruption naquit la propriété, et avec la propriété la mensuration, second âge de l’astronomie. Mais, par une destinée assez remarquable, ce furent encore les peuples les plus simples qui connurent le mieux le système céleste : le pasteur du Gange tomba dans des erreurs moins grossières que le savant d’Athènes ; on eût dit que la muse de l’astronomie avoit retenu un secret penchant pour les bergers, ses premières amours.

Durant les longues calamités qui accompagnèrent et qui suivirent la chute de l’empire romain, les sciences n’eurent d’autre retraite que le sanctuaire de cette Église qu’elles profanent aujourd’hui avec tant d’ingratitude. Recueillies dans le silence des cloîtres, elles durent leur salut à ces mêmes solitaires qu’elles affectent maintenant de mépriser. Un moine Bacon, un évêque Albert, un cardinal Cusa, ressuscitoient dans leurs veilles le génie d’Eudoxe, de Timocharis, d’Hipparque, de Ptolémée. Protégées par les papes, qui donnoient l’exemple aux rois, les sciences s’envolèrent enfin de ces lieux sacrés où la religion les avoit réchauffées sous ses ailes. L’astronomie renaît de toutes parts : Grégoire XIII réforme le calendrier ; Copernic rétablit le système du monde ; Tycho-Brahé, au haut de sa tour, rappelle la mémoire des antiques observateurs babyloniens ; Kepler détermine la forme des