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Hérodote, Hippocrate, Thalès, Homère, Dédale, Minos. Quant à l’origine des rois et des villes, l’histoire nous en a été conservée par Moïse, Platon, Justin et quelques autres, et nous savons quand et pourquoi les diverses formes de gouvernement se sont établies chez les peuples[1].

Que si pourtant on est étonné de trouver tant de grandeur et de magnificence dans les premières cités de l’Asie, cette difficulté cède sans peine à une observation tirée du génie des Orientaux. Dans tous les âges, ces peuples ont bâti des villes immenses, sans qu’on en puisse rien conclure en faveur de leur civilisation, et conséquemment de leur antiquité. L’Arabe, échappé des sables brûlants où il s’estimoit heureux d’enfermer une ou deux toises d’ombre sous une tente de peaux de brebis, cet Arabe a élevé, presque sous nos yeux, des cités gigantesques, vastes métropoles où ce citoyen des déserts semble avoir voulu enclore la solitude. Les Chinois, si peu avancés dans les arts, ont aussi les plus grandes villes du globe, avec des jardins, des murailles, des palais, des lacs, des canaux artificiels, comme ceux de l’ancienne Babylone[2]. Nous-mêmes, enfin, ne sommes-nous pas un exemple frappant de la rapidité avec laquelle les peuples se civilisent ? Il n’y a guère plus de douze siècles que nos ancêtres étoient aussi barbares que les Hottentots, et nous surpassons aujourd’hui la Grèce dans les raffinements du goût, du luxe et des arts.

La logique générale des langues ne peut fournir aucune raison valide en faveur de l’ancienneté des hommes. Les idiomes du primitif Orient, loin d’annoncer des peuples vieillis en société, décèlent au contraire des hommes fort près de la nature. Le mécanisme en est d’une extrême simplicité : l’hyperbole, l’image, les figures poétiques, s’y reproduisent sans cesse, tandis qu’on y trouve à peine quelques mots pour la métaphysique des idées. Il seroit impossible d’énoncer clairement en hébreu la théologie des dogmes chrétiens[3]. Ce n’est que chez les Grecs et chez les Arabes modernes qu’on rencontre les termes composés propres au développement des abstractions de la pensée. Tout le monde sait qu’Aristote est le premier philosophe qui ait inventé des catégories, où les idées viennent se ranger de force, quelle que soit leur classe ou leur nature[4].

  1. Vid. Moys., Pent. ; Plat., de Leg. et Tim. ; Just., lib. II ; Herod. ; Plut., in Thes., Num., Lycurg., Solon, etc., etc.
  2. Vid. le P. du Hald, Hist. de la Ch. ; Lettres édif. ; lord Mac., Amb. to Ch., etc.
  3. On s’en peut assurer en lisant les Pères qui ont écrit en syriaque, tels que saint Éphrem, diacre d’Édesse.
  4. Si les langues demandent tant de temps pour leur entière confection, pour-