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d’Égypte, et l’on cite la liste des dynasties de ces rois, qui existe encore.

Plutarque, qu’on ne soupçonnera pas de christianisme, se chargea d’une partie de la réponse. « Encore, dit-il en parlant des Égyptiens, que leur année ait été de quatre mois, selon quelques auteurs, elle n’étoit d’abord composée que d’un seul, et ne contenoit que le cours d’une seule lune. Et ainsi, faisant d’un seul mois une année, cela est cause que le temps qui s’est écoulé depuis leur origine paraît extrêmement long, et que, bien qu’ils habitent nouvellement leur pays, ils passent pour les plus anciens des peuples[1]. » Nous savons d’ailleurs, par Hérodote[2], Diodore de Sicile[3], Justin[4], Jablonsky[5], Strabon[6], que les Égyptiens mettent leur orgueil à égarer leur origine dans les temps, et, pour ainsi dire, à cacher leur berceau sous les siècles.

Le nombre de leurs règnes ne peut guère embarrasser. On sait que les dynasties égyptiennes sont composées de rois contemporains ; d’ailleurs, le même mot, dans les langues orientales, se lit de cinq à six manières différentes, et notre ignorance a souvent fait de la même personne cinq ou six personnages divers[7]. Et c’est aussi ce qui est arrivé par rapport aux traductions d’un seul nom. L’Athoth des Égyptiens est traduit, dans Érosthène, par Έρμογενὴς, ce qui signifie en grec le lettré, comme Athoth l’exprime en Égyptien : on n’a pas manqué de faire deux rois d’Athoth et d’Hermès ou Hermogène. Mais l’Athoth de Manethon se multiplie encore ; il devient Thoth dans Platon, et le texte de Sanchoniathon prouve en effet que c’est le nom primitif. La lettre A est une de ces lettres qu’on retranche et qu’on ajoute à volonté dans les langues orientales : ainsi l’historien Josèphe traduit par Apachnas le nom du même homme qu’Africanus appelle Pachnas. Voici donc Thoth, Athoth, Hermès, ou Hermogène, ou Mercure, cinq hommes fameux qui vont composer entre eux près de deux siècles ; et cependant ces cinq rois n’étoient qu’un seul Égyptien, qui n’a peut-être pas vécu soixante ans[8].

Après tout, qu’est-il besoin de s’appesantir sur des disputes logo-

  1. Plut., in Num., 30.
  2. Herod., lib. Il.
  3. Diod., lib. I.
  4. Just., lib. I.
  5. Jablonsk., Panth. Egypt., lib. II.
  6. Strab. lib. XVII.
  7. Pour citer un exemple entre mille, le monogramme de Fo-hi, divinité des Chinois, est exactement le même que celui de Menès, divinité de l’Égypte ; et il est assez prouvé d’ailleurs que les caractères orientaux ne sont que des signes généraux d’idées, que chacun traduit dans sa langue, comme le chiffre arabe parmi nous. Ainsi, par exemple l’Italien prononce duodecimo, le même nombre que l’Anglais exprime par le mot twelve, et que le Français rend par celui de douze.
  8. Des personnes, qui pouvoient d’ailleurs être fort instruites, ont accusé les Juifs