Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et pourtant ce ne sont pas là les seules perplexités touchant les années. L’ancienne année juive n’avait que 354 jours ; on ajoutoit quelquefois douze jours à la fin de l’an, et quelquefois un mois de trente jours après le mois Adar, afin d’avoir l’année solaire. L’année juive moderne compte douze mois, et prend sept années de treize mois en dix-neuf ans. L’année syriaque varie également, et se forme de 365 jours. L’année turque ou arabe reconnoît 354 jours, et reçoit onze mois intercalaires en vingt-neuf ans. L’année égyptienne se divise en douze mois de trente jours, et ajoute cinq jours au dernier ; l’année persane, nommée yezdegerdic, lui ressemble[1].

Outre ces mille manières de mesurer les temps, toutes ces années n’ont ni les mêmes commencements, ni les mêmes heures, ni les mêmes jours, ni les mêmes divisions. L’année civile des Juifs (ainsi que toutes celles des Orientaux) s’ouvre à la nouvelle lune de septembre, et leur année ecclésiastique à la nouvelle lune de mars. Les Grecs comptent le premier mois de leur année de la nouvelle lune qui suit le solstice d’été. C’est à notre mois de juin que correspond le premier mois de l’année des Perses, et la Chine et l’Inde partent de la première lune de mars. Nous voyons ensuite des mois astronomiques et civils qui se subdivisent en lunaires et solaires, en synodiques et périodiques ; nous voyons des sections de mois en kalendes, ides, décades, semaines ; nous voyons des jours de deux espèces, artificiels et naturels, et qui commencent, ceux-ci au soleil levant, comme chez les anciens Babyloniens, Syriens, Perses ; ceux-là au soleil couchant, ainsi qu’en Chine, dans l’Italie moderne, et comme autrefois chez les Athéniens, les Juifs et les barbares du Nord. Les Arabes commencent leur jour à midi, et la France actuelle à minuit, de même que l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal. Enfin, il n’y a pas jusqu’aux heures qui ne soient embarrassantes en chronologie, en se distinguant en babyloniennes, italiennes et astronomiques ; et si l’on voulait insister davantage, nous ne verrions plus soixante minutes dans une heure européenne, mais mille quatre-vingts scrupules dans l’heure chaldéenne et arabe.

On a dit que la chronologie est le flambeau de l’histoire[2] : plût à Dieu que nous n’eussions que celui-là pour nous éclairer sur les crimes des hommes ! Que seroit-ce si, pour surcroît de perplexité, nous allions

  1. La seconde année persane, appelée gélaléan, et qui commença l’an du monde 1089, est la plus exacte des années civiles, en ce qu’elle ramène les solstices et les équinoxes précisément aux mêmes jours. Elle se compose au moyen d’une intercalation répétée six ou sept fois dans quatre, et ensuite une fois dans cinq ans.
  2. Voyez la note VII, à la fin du volume.