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été de son opinion sur la nécessité de rendre la religion aimable, et tous les livres où l’imagination, les beaux-arts et la poésie ont été employés comme un moyen d’arriver à ce but. Un ordre tout entier de religieux connus par leur piété, leur aménité et leur science du monde, s’est occupé pendant plusieurs siècles de cette unique idée. Ah ! sans doute aucun genre d’éloquence ne peut être interdit à cette sagesse qui ouvre la bouche des muets[1] et qui rend diserte la langue des petits enfants. Il nous reste une lettre de saint Jérôme où ce Père se justifie d’avoir employé l’érudition païenne à la défense de la doctrine des chrétiens[2]. Saint Ambroise eût-il donné saint Augustin à l’Église, s’il n’eût fait usage de tous les charmes de l’élocution ? " Augustin, encore tout enchanté de l’éloquence profane, dit Rollin, ne cherchait dans les prédications de saint Ambroise que les agréments du discours et non la solidité des choses, mais il n’était pas en son pouvoir de faire cette séparation. " Et n’est-ce pas sur les ailes de l’imagination que saint Augustin s’est élevé à son tour jusqu’à la Cité de Dieu ? Ce Père ne fait point de difficulté de dire qu’on doit ravir aux païens leur éloquence, en leur laissant leurs mensonges, afin de l’appliquer à la prédication de l’Evangile, comme Israël emporta l’or des Egyptiens sans toucher à leurs idoles, pour embellir l’arche sainte[3]. C’était une vérité si unanimement reconnue des Pères, qu’il est bon d’appeler l’imagination au secours des idées religieuses, que ces saints hommes ont été jusqu’à penser que Dieu s’était servi de la poétique philosophie de Platon pour amener l’esprit humain à la croyance des dogmes du christianisme.

XII. Mais il y a un fait historique qui prouve invinciblement la méprise étrange où les critiques sont tombés lorsqu’ils ont cru l’auteur coupable d’innovation dans la manière dont il a défendu le christianisme. Lorsque Julien, entouré de ses sophistes, attaqua la religion avec les armes de la plaisanterie, comme on l’a fait de nos jours ; quand il défendit aux Galiléens d’enseigner[4] et même d’apprendre les belles lettres ; quand il dépouilla les autels du Christ, dans l’espoir d’ébranler la fidélité des prêtres ou de les réduire à l’avilissement de la pauvreté, plusieurs fidèles élevèrent la voix pour repousser les sarcasmes de l’impiété et pour défendre la beauté de la religion chrétienne, Apollinaire le père, selon l’historien Socrate, mit en vers héroïques

  1. Sapientia aperuit os mutorum et linguas infantium fecit disertas. (N.d.A.)
  2. Epist. ad Magnum. Il nomme, avec son érudition accoutumée, tous les auteurs qui ont défendu la religion et les mystères par des idées philosophiques, en commençant à saint Paul, qui cite des vers de Ménandre (Cor., XV, 33.) et d’Epiménide (Tit., I, 12.), jusqu’au prêtre Juvencus, qui, sous le règne de Constantin, écrivit en vers l’histoire de Jésus-Christ, " sans craindre, ajoute saint Jérôme, que la poésie diminuât quelque chose de la majesté de l’Evangile (Epist. ad Magn., loc. cit.) - N.d.A.
  3. De Doct. chr., lib. II, n o 7. (N.d.A.)
  4. Nous avons encore l’édit de Julien. Jul, p. 42. Vid. Greg. Naz., or. III, cap. IV ; Amm., lib. XXII. (N.d.A.)