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Mais comment le monde auroit-il pu contenir toutes les races, si elles n’avoient point été sujettes à la mort ? Ceci n’est plus qu’une affaire d’imagination ; c’est demander à Dieu compte de ses moyens, qui sont infinis. Qui sait si les hommes eussent été aussi multipliés qu’ils le sont de nos jours ? Qui sait si la plus grande partie des générations ne fût point demeurée vierge[1], ou si ces millions d’astres qui roulent sur nos têtes ne nous étoient point réservés comme des retraites délicieuses où nous eussions été transportés par les anges ? On pourroit même aller plus loin : il est impossible de calculer à quelle hauteur d’arts et de sciences l’homme parfait et toujours vivant sur la terre eût pu atteindre. S’il s’est rendu maître de bonne heure de trois éléments ; si, malgré les plus grandes difficultés, il dispute aujourd’hui l’empire des airs aux oiseaux, que n’eût-il point tenté dans sa carrière immortelle ? La nature de l’air, qui forme aujourd’hui un obstacle invincible au changement de planète, étoit peut-être différente avant le déluge. Quoi qu’il en soit, il n’est pas indigne de la puissance de Dieu et de la grandeur de l’homme de supposer que la race d’Adam fut destinée à parcourir les espaces et à animer tous ces soleils qui, privés de leurs habitants par le péché, ne sont restés que d’éclatantes solitudes.

FIN DU LIVRE TROISIÈME

    patriarches et le don de prophétie chez les Hébreux à un rétablissement plus ou moins grand des équilibres de la nature humaine. Ainsi les matérialistes qui soutiennent le système de perfectibilité ne s’entendent pas eux-mêmes, puisqu’en effet cette doctrine, loin d’être celle du matérialisme, ramène aux idées les plus mystiques de la spiritualité.

  1. C’est l’opinion de saint Chrysostome. Il prétend que Dieu eût trouvé des moyens de génération qui nous sont inconnus. Il y a, dit-il, devant le trône de Dieu une multitude d’anges qui ne sont point nés par la voie des hommes. De Virginit., lib. II.