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qui s’offriront sur sa route, et de repos en repos il arrivera au sommet.

III. L’auteur n’a pas écrit seulement son apologie pour les écoliers, pour les chrétiens, pour les prêtres, pour les docteurs[1] : il l’a écrite surtout pour les gens de lettres et pour le monde ; c’est ce qui a été dit plus haut, c’est ce qui est impliqué dans les deux derniers paragraphes. Si l’on ne part point de cette base, que l’on feigne toujours de méconnaître la classe de lecteurs à qui le Génie du Christianisme est particulièrement adressé, il est assez clair qu’on ne doit rien comprendre à l’ouvrage. Cet ouvrage a été fait pour être lu de l’homme de lettres le plus incrédule, du jeune homme le plus léger, avec la même facilité que le premier feuillette un livre impie, le second un roman dangereux. Vous voulez donc, s’écrient ces rigoristes si bien intentionnés pour la religion chrétienne, vous voulez donc faire de la religion une chose de mode ? Hé, plût à Dieu qu’elle fût à la mode, cette divine religion, dans ce sens que la mode est l’opinion du monde ! Cela favoriserait peut-être, il est vrai, quelques hypocrisies particulières ; mais il est certain, d’une autre part, que la morale publique y gagnerait. Le riche ne mettrait plus son amour-propre à corrompre le pauvre, le maître à pervertir le domestique, le père à donner des leçons d’athéisme à ses enfants ; la pratique du culte mènerait à la croyance du dogme, et l’on verrait renaître, avec la piété, le siècle des mœurs et des vertus.

IV. Voltaire, en attaquant le christianisme, connaissait trop bien les hommes pour ne pas chercher à s’emparer de cette opinion qu’on appelle l’opinion du monde ; aussi employa-t-il tous ses talents à faire une espèce de bon ton de l’impiété. Il y réussit en rendant la religion ridicule aux yeux des gens frivoles. C’est ce ridicule que l’auteur du Génie du Christianisme a cherché à effacer ; c’est le but de tout son travail, le but qu’il ne faut jamais perdre de vue si l’on veut juger son ouvrage avec impartialité. Mais l’auteur l’a-t-il effacé, ce ridicule ? Ce n’est pas là la question. Il faut demander : A-t-il fait tous ses efforts pour l’effacer ? Sachez-lui gré de ce qu’il a entrepris, non de ce qu’il a exécuté. Permitte divis caetera. Il ne défend rien de son livre, hors l’idée qui en fait la base. Considérer le christianisme dans ses rapports avec les sociétés humaines ; montrer quel changement il a apporté dans la raison et les passions de l’homme, comment il

  1. Et pourtant ce ne sont ni les vrais chrétiens, ni les docteurs de Sorbonne, mais les philosophes (comme nous l’avons déjà dit), qui se montrent si scrupuleux sur l’ouvrage : c’est ce qu’il ne faut pas oublier. (N.d.A.)