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à la sollicitation même des prélats de cette province. Démétrius, évêque d’Alexandrie, qui était jaloux d’Origène, se plaignit de ses discours comme d’une nouveauté. Alexandre, évêque de Jérusalem, et Théoctiste de Césarée, répondirent " que c’était une coutume ancienne et générale dans l’Église de voir des évêques se servir indifféremment de ceux qui avaient de la piété et quelque talent pour la parole ". Tous les siècles offrent les mêmes exemples. Quand Pascal entreprit sa sublime apologie du christianisme ; quand La Bruyère écrivit si éloquemment contre les esprits forts ; quand Leibnitz défendit les principaux dogmes de la foi ; quand Newton donna son explication d’un livre saint ; quand Montesquieu fit ses beaux chapitres de l’Esprit des Lois en faveur du culte évangélique, a-t-on demandé s’ils étaient prêtres ? Des poètes même ont mêlé leur voix à la voix de ces puissants apologistes, et le fils de Racine a défendu en vers harmonieux la religion qui avait inspiré Athalie à son père.

Mais si jamais de simples laïques ont dû prendre en main cette cause sacrée, c’est sans doute dans l’espèce d’apologie que l’auteur du Génie du Christianisme a embrassée ; genre de défense que commandait impérieusement le genre d’attaque, et qui (vu l’esprit des temps) était peut-être le seul dont on pût se promettre quelque succès. En effet, une pareille apologie ne devait être entreprise que par un laïque. Un ecclésiastique n’aurait pu, sans blesser toutes les convenances, considérer la religion dans ses rapports purement humains, et lire, pour les réfuter, tant de satires calomnieuses, de libelles impies et de romans obscènes.

Disons la vérité : les critiques qui ont fait cette objection en connaissaient bien la frivolité, mais ils espéraient s’opposer par cette voie détournée aux bons effets qui pouvaient résulter du livre. Ils voulaient faire naître des doutes sur la compétence de l’auteur, afin de diviser l’opinion et d’effrayer des personnes simples qui peuvent se laisser tromper à l’apparente bonne foi d’une critique. Que les consciences timorées se rassurent, ou plutôt qu’elles examinent bien avant de s’alarmer si ces censeurs scrupuleux qui accusent l’auteur de porter la main à l’encensoir, qui montrent une si grande tendresse, de si vives inquiétudes pour la religion, ne seraient point des hommes connus par leur mépris ou leur indifférence pour elle. Quelle dérision ! Tales sunt hominum mentes.

La seconde objection que l’on fait au Génie du Christianisme a le même but que la première, mais elle est plus dangereuse, parce qu’elle tend à confondre toutes les idées, à obscurcir une chose fort