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naturelle à l’âge présent du monde, comme le règne des figures convenait au berceau d’Israël. Au ciel elle n’a placé qu’un Dieu ; sur la terre elle a aboli l’esclavage. D’une autre part, si vous regardez ses mystères, ainsi que nous l’avons fait, comme l’archétype des lois de la nature, il n’y aura en cela rien d’affligeant pour un grand esprit : les vérités du christianisme, loin de demander la soumission de la raison, en réclament au contraire l’exercice le plus sublime.

Cette remarque est si juste, la religion chrétienne, qu’on a voulu faire passer pour la religion des barbares, est si bien le culte des philosophes, qu’on peut dire que Platon l’avait presque devinée. Non seulement la morale, mais encore la doctrine du disciple de Socrate, a des rapports frappants avec celle de l’Evangile. Dacier la résume ainsi :

" Platon prouve que le Verbe a arrangé et rendu visible cet univers ; que la connaissance de ce Verbe fait mener ici-bas une vie heureuse et procure la félicité après la mort ;

" Que l’âme est immortelle ; que les morts ressusciteront ; qu’il y aura un dernier jugement des bons et des méchants, où l’on ne paraîtra qu’avec ses vertus ou ses vices, qui seront la cause du bonheur ou du malheur éternel.

" Enfin, ajoute le savant traducteur, Platon avait une idée si grande et si vraie de la souveraine justice, et il connaissait si parfaitement la corruption des hommes, qu’il a fait voir que si un homme souverainement juste venait sur la terre, il trouverait tant d’opposition dans le monde qu’il serait mis en prison, bafoué, fouetté et enfin crucifié par ceux qui, étant pleins d’injustice, passeraient cependant pour justes[1]. "

Les détracteurs du christianisme sont dans une position dont il leur est difficile de ne pas reconnaître la fausseté : s’ils prétendent que la religion du Christ est un culte formé par des Goths et des Vandales, on leur prouve aisément que les écoles de la Grèce ont eu des notions assez distinctes des dogmes chrétiens ; s’ils soutiennent, au contraire, que la doctrine évangélique n’est que la doctrine philosophique des anciens, pourquoi donc ces philosophes la rejettent-ils ? Ceux même qui ne voient dans le christianisme que d’antiques allégories du ciel, des planètes, des signes, etc., ne détruisent pas la grandeur de cette religion : il en résulterait toujours qu’elle serait profonde et magnifique dans ses mystères, antique et sacrée dans ses traditions, lesquelles, par cette nouvelle route, iraient encore se perdre au berceau

  1. Dacier, Discours sur Platon, p. 22. (N.d.A.)