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couvents de païens, et fit prêcher les ministres de Baal dans leurs temples. Cet échafaudage, imité du christianisme, se brisa bientôt, parce qu’il n’était pas soutenu par un esprit de vertu et ne s’appuyait pas sur les mœurs.

La seule classe des vaincus respectée par les barbares fut celle des prêtres et des religieux. Les monastères devinrent autant de foyers où le feu sacré des arts se conserva avec la langue grecque et la langue latine. Les premiers citoyens de Rome et d’Athènes, s’étant réfugiés dans le sacerdoce chrétien, évitèrent ainsi la mort ou l’esclavage auquel ils eussent été condamnés avec le reste du peuple.

On peut juger de l’abîme où nous serions plongés aujourd’hui si les barbares avaient surpris le monde sous le polythéisme, par l’état actuel des nations où le christianisme s’est éteint. Nous serions tous des esclaves turcs ou quelque chose de pis encore ; car le mahométisme a du moins un fonds de morale, qu’il tient de la religion chrétienne, dont il n’est, après tout, qu’une secte très éloignée. Mais, de même que le premier Ismael fut ennemi de l’antique Jacob, le second est le persécuteur de la nouvelle.

Il est donc très probable que sans le christianisme le naufrage de la société et des lumières eût été total. On ne peut calculer combien de siècles eussent été nécessaires au genre humain pour sortir de l’ignorance et de la barbarie corrompue dans lesquelles il se fût trouvé enseveli.

Il ne fallait rien moins qu’un corps immense de solitaires répandus dans les trois parties du globe, et travaillant de concert à la même fin, pour conserver ces étincelles qui ont rallumé chez les modernes le flambeau des sciences. Encore une fois, aucun ordre politique, philosophique ou religieux du paganisme n’eût pu rendre ce service inappréciable, au défaut de la religion chrétienne. Les écrits des anciens, se trouvant dispersés dans les monastères, échappèrent en partie aux ravages des Goths. Enfin, le polythéisme n’était point, comme le christianisme, une espèce de religion lettrée, si nous osons nous exprimer ainsi, parce qu’il ne joignait point, comme lui, la métaphysique et la morale aux dogmes religieux. La nécessité où les prêtres chrétiens se trouvèrent de publier eux-mêmes des livres, soit pour propager la foi, soit pour combattre l’hérésie, a puissamment servi à la conservation et à la renaissance des lumières.

Dans toutes les hypothèses imaginables, on trouve toujours que l’Evangile a prévenu la destruction de la société ; car, en supposant qu’il n’eût point paru sur la terre, et que, d’un autre côté, les barbares fussent demeurés dans leurs forêts, le monde romain,