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chance restait-il à la postérité ? où les lumières se fussent-elles conservées ?

Les prêtres du polythéisme ne formaient point un corps d’hommes lettrés, hors en Perse et en Égypte ; mais les mages et les prêtres égyptiens, qui d’ailleurs ne communiquaient point leurs sciences au vulgaire, n’existaient déjà plus en corps lors de l’invasion des barbares. Quant aux sectes philosophiques d’Athènes et d’Alexandrie, elles se renfermaient presque entièrement dans ces deux villes, et consistaient tout au plus en quelques centaines de rhéteurs, qui eussent été égorgés avec le reste des citoyens.

Point d’esprit de prosélytisme chez les anciens ; aucune ardeur pour enseigner ; point de retraite au désert pour y vivre avec Dieu et pour y sauver les sciences. Quel pontife de Jupiter eût marché au-devant d’Attila pour l’arrêter ? Quel lévite eût persuadé à un Alaric de retirer ses troupes de Rome ? Les barbares qui entraient dans l’empire étaient déjà à demi chrétiens ; mais voyons-les marcher sous la bannière sanglante du dieu de la Scandinavie ou des Tartares, ne rencontrant sur leur route ni une force d’opinion religieuse qui les oblige à respecter quelque chose, ni un fonds de mœurs qui commence à se renouveler chez les Romains par le christianisme : n’en doutons point, ils eussent tout détruit. Ce fut même le projet d’Alaric : " Je sens en moi, disait ce roi barbare, quelque chose qui me porte à brûler Rome. " C’est un homme monté sur des ruines et qui paraît gigantesque.

Des différents peuples qui envahirent l’empire, les Goths semblent avoir eu le génie le moins dévastateur. Théodoric, vainqueur d’Odoacre, fut un grand prince ; mais il était chrétien, mais Boëce, son premier ministre, était un homme de lettres chrétien : cela trompe toutes les conjectures. Qu’eussent fait les Goths idolâtres ? Ils auraient sans doute tout renversé comme les autres barbares. D’ailleurs ils se corrompirent très vite, et si au lieu de vénérer Jésus-Christ ils s’étaient mis à adorer Priape, Vénus et Bacchus, quel effroyable mélange ne fût-il point résulté de la religion sanglante d’Odin et des fables dissolues de la Grèce !

Le polythéisme était si peu propre à conserver quelque chose, qu’il tombait lui-même en ruine de toutes parts, et que Maximin voulut lui faire prendre les formes chrétiennes pour le soutenir. Ce César établit dans chaque province un lévite qui correspondait à l’évêque, un grand-prêtre qui représentait le métropolitain[1]. Julien fonda des

  1. Eus., lib. XIII, cap. XIV ; lib. IX, cap. II-VIII. (N.d.A.)