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bassesse. Ne nous plaignons plus de l’état actuel de la société : le peuple moderne le plus corrompu est un peuple de sages auprès des nations païennes.

Quand on supposerait un instant que l’ordre politique des anciens fût plus beau que le nôtre, leur ordre moral n’approcha jamais de celui que le christianisme a fait naître parmi nous. Et comme enfin la morale est en dernier lieu la base de toute institution sociale, jamais nous n’arriverons à la dépravation de l’antiquité tandis que nous serons chrétiens.

Lorsque les liens politiques furent brisés à Rome et dans la Grèce, quel frein resta-t-il aux hommes ? Le culte de tant de divinités infâmes pouvait-il maintenir des mœurs que les lois ne soutenaient plus ? Loin de remédier à la corruption, il en devint un des agents les plus puissants. Par un excès de misère qui fait frémir, l’idée de l’existence des dieux, qui nourrit la vertu chez les hommes, entretenait les vices parmi les païens, et semblait éterniser le crime, en lui donnant un principe d’éternelle durée.

Des traditions nous sont restées de la méchanceté des hommes et des catastrophes terribles qui n’ont jamais manqué de suivre la corruption des mœurs. Ne serait-il pas possible que Dieu eût combiné l’ordre physique et moral de l’univers de manière qu’un bouleversement dans le dernier entraînât des changements nécessaires dans l’autre et que les grands crimes amenassent naturellement les grandes révolutions ? La pensée agit sur le corps d’une manière inexplicable ; l’homme est peut-être la pensée du grand corps de l’univers. Cela simplifierait beaucoup la nature et agrandirait prodigieusement la sphère de l’homme ; ce serait aussi une clef pour l’explication des miracles, qui rentreraient dans le cours ordinaire des choses. Que les déluges, les embrasements, le renversement des États eussent leurs causes secrètes dans les vices de l’homme ; que le crime et le châtiment fussent les deux poids moteurs placés dans les deux bassins de la balance morale et physique du monde, la correspondance serait belle, et ne ferait qu’un tout d’une création qui semble double au premier coup d’œil.

Il se peut donc faire que la corruption de l’empire romain ait attiré du fond de leurs déserts les barbares qui, sans connaître la mission qu’ils avaient de détruire, s’étaient appelés par instinct le fléau de Dieu. Que fût devenu le monde si la grande arche du christianisme n’eût sauvé les restes du genre humain de ce nouveau déluge ? Quelle