Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/525

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans la division des trois ordres ; division connue de toutes les grandes monarchies de l’Europe moderne. L’Angleterre a commencé, comme la France et l’Espagne, par ses états généraux : l’Espagne passa à une monarchie absolue, la France à une monarchie tempérée, et l’Angleterre à une monarchie mixte. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que les cortès de la première jouissaient de plusieurs privilèges que n’avaient pas les états généraux de la seconde et les parlements de la troisième, et que le peuple le plus libre est tombé sous le gouvernement le plus absolu. D’une autre part, les Anglais, qui étaient presque réduits en servitude, se rapprochèrent de l’indépendance, et les Français, qui n’étaient ni très libres ni très asservis, demeurèrent à peu près au même point.

Enfin, ce fut une grande et féconde idée politique que cette division des trois ordres. Totalement ignorée des anciens, elle a produit chez les modernes le système représentatif, qu’on peut mettre au nombre de ces trois ou quatre découvertes qui ont créé un autre univers. Et qu’il soit encore dit à la gloire de notre religion que le système représentatif découle en partie des institutions ecclésiastiques, d’abord parce que l’Église en offrit la première image dans ses conciles, composés du souverain pontife, des prélats et des députés du bas clergé, et ensuite parce que les prêtres chrétiens ne s’étant pas séparés de l’État ont donné naissance à un nouvel ordre de citoyens, qui par sa réunion aux deux autres a entraîné la représentation du corps politique.

Nous ne devons pas négliger une remarque qui vient à l’appui des faits précédents, et qui prouve que le génie évangélique est éminemment favorable à la liberté. La religion chrétienne établit en dogme l’égalité morale, la seule qu’on puisse prêcher sans bouleverser le monde. Le polythéisme cherchait-il à Rome à persuader au patricien qu’il n’était pas d’une poussière plus noble que le plébéien ? Quel pontife eût osé faire retentir de telles paroles aux oreilles de Néron et de Tibère ? On eût bientôt vu le corps du lévite imprudent exposé aux gémonies. C’est cependant de telles leçons que les potentats chrétiens reçoivent tous les jours dans cette chaire si justement appelée la chaire de vérité.

En général, le christianisme est surtout admirable pour avoir converti l’homme physique en l’homme moral. Tous les grands principes de Rome et de la Grèce, l’égalité, la liberté, se trouvent dans notre religion, mais appliqués à l’âme et au génie et considérés sous des rapports sublimes.

Les conseils de l’Evangile forment le véritable philosophe, et ses