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de la cour de Rome ont servi à répandre les principes généraux du droit des peuples. Lorsque les papes mettaient les royaumes en interdit, lorsqu’ils forçaient les empereurs à venir rendre compte de leur conduite au saint-siège, ils s’arrogeaient sans doute un pouvoir qu’ils n’avaient pas ; mais en blessant la majesté du trône ils faisaient peut-être du bien à l’humanité. Les rois devenaient plus circonspects ; ils sentaient qu’ils avaient un frein et le peuple une égide. Les rescrits des pontifes ne manquaient jamais de mêler la voix des nations et l’intérêt général des hommes aux plaintes particulières. " Il nous est venu des rapports que Philippe, Ferdinand, Henri opprimait son peuple, etc. " Tel était à peu près le début de tous ces arrêts de la cour de Rome.

S’il existait au milieu de l’Europe un tribunal qui jugeât, au nom de Dieu, les nations et les monarques, et qui prévînt les guerres et les révolutions, ce tribunal serait le chef-d’œuvre de la politique et le dernier degré de la perfection sociale : les papes, par l’influence qu’ils exerçaient sur le monde chrétien, ont été au moment de réaliser ce beau songe.

Montesquieu a fort bien prouvé que le christianisme est opposé d’esprit et de conseil au pouvoir arbitraire, et que ses principes font plus que l’honneur dans les monarchies, la vertu dans les républiques et la crainte dans les États despotiques. N’existe-t-il pas d’ailleurs des républiques chrétiennes qui paraissent même plus attachées à leur religion que les monarchies ? N’est-ce pas encore sous la loi évangélique que s’est formé ce gouvernement dont l’excellence paraissait telle au plus grave des historiens[1], qu’il le croyait impraticable pour les hommes ? " Dans toutes les nations, dit Tacite, c’est le peuple, ou les nobles, ou un seul qui gouverne ; une forme de gouvernement qui se composerait à la fois des trois autres est une brillante chimère[2], etc.

Tacite ne pouvait pas deviner que cette espèce de miracle s’accomplirait un jour chez des sauvages dont il nous a laissé l’histoire[3]. Les passions, sous le polythéisme, auraient bientôt renversé un gouvernement qui ne se conserve que par la justesse des contrepoids. Le phénomène de son existence était réservé à une religion qui, en maintenant l’équilibre moral le plus parfait, permet d’établir la plus parfaite balance politique.

Montesquieu a vu le principe du gouvernement anglais dans les forêts de la Germanie : il était peut-être plus simple de le découvrir

  1. Il faut se souvenir que ceci était écrit sous Buonaparte. L’auteur semble annoncer ici la Charte de Louis XVIII. Ses opinions constitutionnelles, comme on le voit, datent de loin. (N.d.A.)
  2. Tac., Ann., lib. IV. XXXIII. (N.d.A.)
  3. In Vit. Agric. (N.d.A.)