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prêtre admis à prononcer sur un point de droit aurait-il prévariqué ? S’il est vrai que l’éducation et les principes qui nous sont inculqués dans la jeunesse influent sur notre caractère, des ministres de l’Evangile devaient être en général guidés par un conseil de douceur et d’impartialité ; mettons, si l’on veut, une restriction, et disons dans tout ce qui ne regardait pas ou leur ordre ou leurs personnes, et ailleurs, l’esprit de corps, qui peut être mauvais dans l’ensemble, est toujours bon dans la partie. Il est à présumer qu’un membre d’une grande société religieuse se distinguera plutôt par sa droiture dans une place civile que par ses prévarications, ne fût-ce que pour la gloire de son ordre et le joug que cet ordre lui impose.

De plus, les conciles étaient composés de prélats de tous les pays, et partant ils avaient l’immense avantage d’être comme étrangers aux peuples pour lesquels ils faisaient des lois. Ces haines, ces amours, ces préjugés feudataires qui accompagnent ordinairement le législateur étaient inconnus aux Pères des conciles. Un évêque français avait assez de lumières touchant sa patrie pour combattre un canon qui en blessait les mœurs, mais il n’avait pas assez de pouvoir sur des prélats italiens, espagnols, anglais, pour leur faire adopter un règlement injuste ; libre dans le bien, sa position le bornait dans le mal. C’est Machiavel, ce nous semble, qui propose de faire rédiger la constitution d’un État par un étranger. Mais cet étranger pourrait être ou gagné par intérêt, ou ignorant du génie de la nation dont il fixerait le gouvernement ; deux grands inconvénients que le concile n’avait pas, puisqu’il était à la fois au-dessus de la corruption par ses richesses et instruit des inclinations particulières des royaumes par les divers membres qui le composaient.

L’Église prenant toujours la morale pour base, de préférence à la politique (comme on le voit par les questions de rapt, de divorce, d’adultère), ses ordonnances doivent avoir un fonds naturel de rectitude et d’universalité. En effet, la plupart des canons ne sont point relatifs à telle ou telle contrée ; ils comprennent toute la chrétienté. La charité, le pardon des offenses formant tout le christianisme et étant spécialement recommandés dans le sacerdoce, l’action de ce caractère sacré sur les mœurs doit participer de ces vertus. L’histoire nous offre sans cesse le prêtre priant pour le malheureux, demandant grâce pour le coupable ou intercédant pour l’innocent. Le droit d’asile dans les églises, tout abusif qu’il pouvait être, est néanmoins une grande preuve de la tolérance que l’esprit religieux avait introduite dans la justice criminelle. Les Dominicains furent animés par cette pitié évangélique lorsqu’ils dénoncèrent avec tant de force les cruautés des Espagnols