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Chapitre IX - Arts et Métiers, Commerce

Rien n’est plus contraire à la vérité historique que de se représenter les premiers moines comme des hommes oisifs, qui vivaient dans l’abondance aux dépens des superstitions humaines. D’abord cette abondance n’était rien moins que réelle. L’ordre, par ses travaux, pouvait être devenu riche, mais il est certain que le religieux vivait très durement. Toutes ces délicatesses du cloître, si exagérées, se réduisaient, même de nos jours, à une étroite cellule, des pratiques désagréables et une table fort simple, pour ne rien dire de plus. Ensuite il est très faux que les moines ne fussent que de pieux fainéants ; quand leurs nombreux hospices, leurs collèges, leurs bibliothèques, leurs cultures et tous les autres services dont nous avons parlé, n’auraient pas suffi pour occuper leurs loisirs, ils avaient encore trouvé bien d’autres manières d’être utiles ; ils se consacraient aux arts mécaniques et étendaient le commerce au dehors et au dedans de l’Europe.

La congrégation du tiers ordre de Saint-François, appelée des Bons-Fieux, faisait des draps et des galons en même temps qu’elle montrait à lire aux enfants des pauvres et qu’elle prenait soin des malades. La compagnie des Pauvres Frères cordonniers et tailleurs était instituée dans le même esprit. Le couvent des Hiéronymites, en Espagne, avait dans son sein plusieurs manufactures. La plupart des premiers religieux étaient maçons aussi bien que laboureurs. Les Bénédictins bâtissaient leurs maisons de leurs propres mains, comme on le voit par l’histoire des couvents du Mont-Cassin, de ceux de Fontevrault et de plusieurs autres.

Quant au commerce intérieur, beaucoup de foires et de marchés appartenaient aux abbayes et avaient été établis par elles. La célèbre foire du Landyt, à Saint-Denis, devait sa naissance à l’université de Paris. Les religieuses filaient une grande partie des toiles de l’Europe. Les bières de Flandre et la plupart des vins fins de l’Archipel, de la Hongrie, de l’Italie, de la France et de l’Espagne, étaient faits par les congrégations religieuses ; l’exportation et l’importation des grains, soit pour l’étranger, soit pour les armées, dépendaient encore en partie des grands propriétaires ecclésiastiques. Les églises faisaient valoir le parchemin, la cire, le lin, la soie, les marbres, l’orfèvrerie, les manufactures en laine, les tapisseries et les matières premières