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En Espagne, les Bénédictins déployèrent la même activité. Ils achetèrent des terres en friche au bord du Tage, près de Tolède, et ils fondèrent le couvent de Venghalia, après avoir planté en vignes et en orangers tout le pays d’alentour.

Le Mont-Cassin, en Italie, n’était qu’une profonde solitude : lorsque saint Benoît s’y retira, le pays changea de face en peu de temps, et l’abbaye nouvelle devint si opulente par ses travaux, qu’elle fut en état de se défendre, en 1057, contre les Normands, qui lui firent la guerre.

Saint Boniface, avec les religieux de son ordre, commença toutes les cultures dans les quatre évêchés de Bavière. Les Bénédictins de Fulde défrichèrent, entre la Hesse, la Franconie et la Thuringe, un terrain du diamètre de huit mille pas géométriques, ce qui donnait vingt-quatre mille pas, ou seize lieues de circonférence ; ils comptèrent bientôt jusqu’à dix-huit mille métairies, tant en Bavière qu’en Souabe. Les moines de Saint-Benoît-Polironne, près de Mantoue, employèrent au labourage plus de trois mille bœufs.

Remarquons, en outre, que la règle, presque générale, qui interdisait l’usage de la viande aux ordres monastiques vint sans doute, en premier lieu, d’un principe d’économie rurale. Les sociétés religieuses étant alors fort multipliées, tant d’hommes qui ne vivaient que de poissons, d’œufs, de lait et de légumes, durent favoriser singulièrement la propagation des races de bestiaux. Ainsi nos campagnes, aujourd’hui si florissantes, sont en partie redevables de leurs moissons et de leurs troupeaux au travail des moines et à leur frugalité.

De plus, l’exemple, qui est souvent peu de chose en morale, parce que les passions en détruisent les bons effets, exerce une grande puissance sur le côté matériel de la vie. Le spectacle de plusieurs milliers de religieux cultivant la terre mina peu à peu ces préjugés barbares qui attachaient le mépris à l’art qui nourrit les hommes. Le paysan apprit dans les monastères à retourner la glèbe et à fertiliser le sillon. Le baron commença à chercher dans son champ des trésors plus certains que ceux qu’il se procurait par les armes. Les moines furent donc réellement les pères de l’agriculture, et comme laboureurs eux-mêmes, et comme les premiers maîtres de nos laboureurs.

Ils n’avaient point perdu de nos jours ce génie utile. Les plus belles cultures, les paysans les plus riches, les mieux nourris et les moins vexés, les équipages champêtres les plus parfaits, les troupeaux les plus gras, les fermes les mieux entretenues se trouvaient dans les abbayes. Ce n’était pas là, ce nous semble, un sujet de reproches à faire au clergé.