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Le général de la Compagnie résidait à Rome. Les Pères provinciaux, en Europe, étaient obligés de correspondre avec lui une fois par mois. Les chefs des missions étrangères lui écrivaient toutes les fois que les vaisseaux ou les caravanes traversaient les solitudes du monde. Il y avait en outre, pour les cas pressants, des missionnaires qui se rendaient de Pékin à Rome, de Rome en Perse, en Turquie, en Ethiopie, au Paraguay ou dans quelque autre partie de la terre.

L’Europe savante a fait une perte irréparable dans les Jésuites. L’éducation ne s’est jamais bien relevée depuis leur chute. Ils étaient singulièrement agréables à la jeunesse ; leurs manières polies ôtaient à leurs leçons ce ton pédantesque qui rebute l’enfance. Comme la plupart de leurs professeurs étaient des hommes de lettres recherchés dans le monde, les jeunes gens ne se croyaient avec eux que dans une illustre académie. Ils avaient su établir entre leurs écoliers de différentes fortunes une sorte de patronage qui tournait au profit des sciences. Ces liens, formés dans l’âge où le cœur s’ouvre aux sentiments généreux, ne se brisaient plus dans la suite, et établissaient entre le prince et l’homme de lettres ces antiques et nobles amitiés qui existaient entre les Scipions et les Lélius.

Ils ménageaient encore ces vénérables relations de disciples et de maître, si chères aux écoles de Platon et de Pythagore. Ils s’enorgueillissaient du grand homme dont ils avaient préparé le génie, et réclamaient une partie de sa gloire. Voltaire dédiant sa Mérope au père Porée et l’appelant son cher maître est une de ces choses aimables que l’éducation moderne ne présente plus. Naturalistes, chimistes, botanistes, mathématiciens, mécaniciens, astronomes, poètes, historiens, traducteurs, antiquaires, journalistes, il n’y a pas une branche des sciences que les Jésuites n’aient cultivée avec éclat. Bourdaloue rappelait l’éloquence romaine, Brumoy introduisait la France au théâtre des Grecs, Gresset marchait sur les traces de Molière ; Lecomte, Parennin, Charlevoix, Ducerceau, Sanadon, Duhalde, Noël, Bouhours, Daniel, Tournemine, Maimbourg, Larue, Jouvency, Rapin, Vanière, Commire, Sirmond, Bougeant, Petau, ont laissé des noms qui ne sont pas sans honneur. Que peut-on reprocher aux Jésuites ? Un peu d’ambition, si naturel au génie. " Il sera toujours beau, dit Montesquieu en parlant de ces Pères, de gouverner les hommes en les rendant heureux. " Pesez la masse du bien que les Jésuites ont fait ; souvenez-vous des écrivains célèbres que leur corps a donnés à la France ou de ceux qui se sont formés dans leurs écoles ; rappelez-vous les royaumes entiers qu’ils ont conquis à notre commerce par leur habileté, leurs sueurs et leur sang ; repassez dans votre mémoire les miracles de leurs