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montrer dans les landes de la Bretagne le héros qui devait sauver la France[1].

Bientôt on passait à l’office de page ou de damoiseau dans le château de quelque baron. C’était là qu’on prenait les premières leçons sur la foi gardée à Dieu et aux dames[2]. Souvent le jeune page y commençait pour la fille du seigneur une de ces durables tendresses que des miracles de vaillance devaient immortaliser. De vastes architectures gothiques, de vieilles forêts, de grands étangs solitaires, nourrissaient, par leur aspect romanesque, ces passions que rien ne pouvait détruire et qui devenaient des espèces de sort et d’enchantement.

Excité par l’amour au courage, le page poursuivait les mâles exercices qui lui ouvraient la route de l’honneur. Sur un coursier indompté il lançait, dans l’épaisseur des bois, les bêtes sauvages, ou, rappelant le faucon du haut des cieux, il forçait le tyran des airs à venir, timide et soumis, se poser sur sa main assurée. Tantôt, comme Achille enfant, il faisait voler des chevaux sur la plaine, s’élançant de l’un à l’autre, d’un saut franchissant leur croupe ou s’asseyant sur leur dos ; tantôt il montait tout armé jusqu’au haut d’une tremblante échelle, et se croyait déjà sur la brèche, criant : Montjoie et Saint-Denis[3] ! Dans la cour de son baron, il recevait les instructions et les exemples propres à former sa vie. Là se rendaient sans cesse des chevaliers connus ou inconnus, qui s’étaient voués à des aventures périlleuses, qui revenaient seuls des royaumes du Cathay, des confins de l’Asie et de tous ces lieux incroyables où ils redressaient les torts et combattaient les infidèles.

" On veoit, dit Froissart parlant de la maison du duc de Foix, on veoit en la salle, en la chambre, en la cour, chevaliers et escuyers d’honneur aller et marcher, et les oyait-on parler d’armes et d’amour : tout honneur étoit là dedans treuvé, toute nouvelle, de quelque pays ne de quelque royaume que ce fust, là dedans on y apprenoit, car de tout pays, pour la vaillance du seigneur, elles y venoient. "

Au sortir de page on devenait écuyer, et la religion présidait toujours à ces changements. De puissants parrains ou de belles marraines promettaient à l’autel pour le héros futur religion, fidélité et amour. Le service de l’écuyer consistait, en paix, à trancher à table, à servir lui-même les viandes, comme les guerriers d’Homère, à donner à laver aux convives. Les plus grands seigneurs ne rougissaient point de remplir

  1. Vie de Duguesclin. (N.d.A.)
  2. Sainte-Palaye, t. I, p. II. (N.d.A.)
  3. Sainte-Palaye, t. I, part. 7. (N.d.A.)