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justifient les croisades. Les disciples du Coran sont-ils demeurés tranquilles dans les déserts de l’Arabie, et n’ont-ils pas porté leur loi et leurs ravages jusqu’aux murailles de Delhi et jusqu’aux remparts de Vienne ? Il fallait peut-être attendre que le repaire de ces bêtes féroces se fût rempli de nouveau, et parce qu’on a marché contre elles sous la bannière de la religion, l’entreprise n’était ni juste ni nécessaire ! Tout était bon, Teutatès, Odin, Allah, pourvu qu’on n’eût pas Jésus-Christ [NOTE 36] !


Chapitre IV - Vie et mœurs des Chevaliers

Les sujets qui parlent le plus à l’imagination ne sont pas les plus faciles à peindre, soit qu’ils aient dans leur ensemble un certain vague plus charmant que les descriptions qu’on en peut faire, soit que l’esprit du lecteur aille toujours au delà de vos tableaux. Le seul mot de chevalerie, le seul nom d’un illustre chevalier, est proprement une merveille, que les détails les plus intéressants ne peuvent surpasser ; tout est là-dedans, depuis les fables de l’Arioste jusqu’aux exploits des véritables paladins, depuis le palais d’Alcine et d’Armide jusqu’aux tourelles de Cœuvre et d’Anet.

Il n’est guère possible de parler, même historiquement, de la chevalerie sans avoir recours aux troubadours qui l’ont chantée, comme on s’appuie de l’autorité d’Homère en ce qui concerne les anciens héros : c’est ce que les critiques les plus sévères ont reconnu. Mais alors on a l’air de ne s’occuper que de fictions. Nous sommes accoutumés à une vérité si stérile, que tout ce qui n’a pas la même sécheresse nous paraît mensonge : comme ces peuples nés dans les glaces du pôle, nous préférons nos tristes déserts à ces champs où

La terra molle e lieta e dilettosa

Simili a se gli abitator produce[1].

L’éducation du chevalier commençait à l’âge de sept ans[2]. Du Guesclin encore enfant s’amusait, dans les avenues du château de son père, à représenter des sièges et des combats avec des petits paysans de son âge. On le voyait courir dans les bois, lutter contre les vents, sauter de larges fossés, escalader les ormes et les chênes, et déjà

  1. Tass., cant. I, ott. 62. (N.d.A.)
  2. Sainte-Palaye, t. I, Ire part. (N.d.A.)