Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/473

Cette page n’a pas encore été corrigée

on lui coupa des lambeaux de chair, que l’on dévora à ses yeux, en lui disant que la chair des Français était excellente[1] ; puis, continuant ces railleries : " Tu nous assurais tout à l’heure, criaient les barbares, que plus on souffre sur la terre, plus on est heureux dans le ciel : c’est par amitié pour toi que nous nous étudions à augmenter tes souffrances[2]. "

Lorsqu’on portait dans Paris des cœurs de prêtres au bout des piques, on chantait : Ah ! il n’est point de fête quand le cœur n’en est pas.

Enfin, après avoir souffert plusieurs autres tourments que nous n’oserions transcrire, le père Brébeuf rendit l’esprit, et son âme s’envola au séjour de celui qui guérit toutes les plaies de ses serviteurs.

C’était en 1649 que ces choses se passaient en Canada, c’est-à-dire au moment de la plus grande prospérité de la France et pendant les fêtes de Louis XIV : tout triomphait alors, le missionnaire et le soldat.

Ceux pour qui un prêtre est un objet de haine et de risée se réjouiront de ces tourments des confesseurs de la foi. Les sages, avec un esprit de prudence et de modération, diront qu’après tout les missionnaires étaient les victimes de leur fanatisme : ils demanderont, avec une pitié superbe, ce que les moines allaient faire dans les déserts de l’Amérique. A la vérité, nous convenons qu’ils n’allaient pas, sur un plan de savants, tenter de grandes découvertes philosophiques ; ils obéissaient seulement à ce maître qui leur avait dit : " Allez et enseignez, Docete omnes gentes ; " et sur la foi de ce commandement, avec une simplicité extrême, ils quittaient les délices de la patrie pour aller, au prix de leur sang, révéler à un barbare qu’ils n’avaient jamais vu… Quoi ? — Rien, selon le monde, presque rien : L’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme ; docete omnes gentes !


Chapitre IX - Fin des Missions

Ainsi, nous avons indiqué les voies que suivaient les différentes missions : voies de simplicité, voies de science, voies de législation, voies d’héroïsme. Il nous semble que c’était un juste sujet d’orgueil pour l’Europe, et surtout pour la France, qui fournissait le plus grand nombre de missionnaires, de voir tous les ans sortir de son sein des

  1. Hist. de la Nouv.-France, p. 293 et 294. (N.d.A.)
  2. Hist. de la Nouv.-France, p. 294. (N.d.A.)