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les sauvages les reconnaissaient pour être de la chair blanche de Québec, à l’intrépidité avec laquelle ils supportaient les plus affreux supplices.

Le ciel, touché de leurs vertus, accorda à plusieurs d’entre eux cette palme qu’ils avaient tant désirée et qui les a fait monter au rang des premiers apôtres. La bourgade huronne où le père Daniel[1] était missionnaire fut surprise par les Iroquois au matin du 4 juillet 1648 ; les jeunes guerriers étaient absents. Le Jésuite, dans ce moment même, disait la messe à ses néophytes. Il n’eut que le temps d’achever la consécration et de courir à l’endroit d’où partaient les cris. Une scène lamentable s’offrit à ses yeux : femmes, enfants, vieillards, gisaient pêle-mêle expirants. Tout ce qui vivait encore tombe à ses pieds et lui demande le baptême. Le Père trempe un voile dans l’eau, et, le secouant sur la foule à genoux, procure la vie des cieux à ceux qu’il ne pouvait arracher à la mort temporelle. Il se ressouvint alors d’avoir laissé dans les cabanes quelques malades qui n’avaient point encore reçu le sceau du christianisme ; il y vole, les met au nombre des rachetés, retourne à la chapelle, cache les vases sacrés, donne une absolution générale aux Hurons qui s’étaient réfugiés à l’autel, les presse de fuir, et, pour leur en laisser le temps, marche à la rencontre des ennemis. A la vue de ce prêtre, qui s’avançait seul contre une armée, les barbares, étonnés, s’arrêtent et reculent quelques pas ; n’osant approcher du saint, ils le percent de loin avec leurs flèches. " Il en était tout hérissé, dit Charlevoix, qu’il parlait encore avec une action surprenante, tantôt à Dieu, à qui il offrait son sang pour le troupeau, tantôt à ses meurtriers, qu’il menaçait de la colère du ciel, en les assurant néanmoins qu’ils trouveraient toujours le Seigneur disposé à les recevoir en grâce s’ils avaient recours à sa clémence[2]. " Il meurt, et sauve une partie de ses néophytes en arrêtant ainsi les Iroquois autour de lui.

Le père Garnier montra le même héroïsme dans une autre bourgade : il était tout jeune encore et s’était arraché nouvellement aux pleurs de sa famille pour sauver des âmes dans les forêts du Canada. Atteint de deux balles sur le champ de carnage, il est renversé sans connaissance : un Iroquois le croyant mort le dépouille. Quelque temps après le Père revient de son évanouissement ; il soulève la tête et voit à quelque distance un Huron qui rendait le dernier soupir. L’apôtre fait un effort pour aller absoudre le catéchumène ; il se traîne,

  1. Le même dont Charlevoix nous a fait le portrait. (N.d.A.)
  2. Hist. de la Nouv.-France, t. I. liv. VII, p. 286. (N.d.A.)