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les Athéniens dans la condition sauvage ; les Hurons, spirituels, gais, légers, dissimulés toutefois, braves, éloquents gouvernés par des femmes, abusant de la fortune et soutenant mal les revers, ayant plus d’honneur que d’amour de la patrie ; les Iroquois, séparés en cantons que dirigeaient des vieillards, ambitieux, politiques, taciturnes, sévères, dévorés du désir de dominer, capables des plus grands vices et des plus grandes vertus, sacrifiant tout à la patrie ; les plus féroces et les plus intrépides des hommes.

Aussitôt que les Français et les Anglais parurent sur ces rivages, par un instinct naturel les Hurons s’attachèrent aux premiers, les Iroquois se donnèrent aux seconds, mais sans les aimer : ils ne s’en servaient que pour se procurer des armes. Quand leurs nouveaux alliés devenaient trop puissants, ils les abandonnaient ; ils s’unissaient à eux de nouveau quand les Français obtenaient la victoire. On vit ainsi un petit troupeau de sauvages se ménager entre deux grandes nations civilisées, chercher à détruire l’une par l’autre, toucher souvent au moment d’accomplir ce dessein et d’être à la fois le maître et le libérateur de cette partie du Nouveau Monde.

Tels furent les peuples que nos missionnaires entreprirent de nous concilier par la religion. Si la France vit son empire s’étendre en Amérique par delà les rives du Meschacebé, si elle conserva si longtemps le Canada contre les Iroquois et les Anglais unis, elle dut presque tous ses succès aux Jésuites. Ce furent eux qui sauvèrent la colonie au berceau, en plaçant pour boulevard devant elle un village de Hurons et d’Iroquois chrétiens, en prévenant des coalitions générales d’Indiens, en négociant des traités de paix, en allant seuls s’exposer à la fureur des Iroquois pour traverser les desseins des Anglais. Les gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre ne cessent dans leurs dépêches de peindre nos missionnaires comme leurs plus dangereux ennemis : " Ils déconcertent, disent-ils, les projets de la puissance britannique ; ils découvrent ses secrets, et lui enlèvent le cœur et les armes des sauvages. "

La mauvaise administration du Canada, les fausses démarches des commandants, une politique étroite ou oppressive, mettaient souvent plus d’entraves aux bonnes intentions des Jésuites que l’opposition de l’ennemi. Présentaient-ils les plans les mieux concertés pour la prospérité de la colonie, on les louait de leur zèle, et l’on suivait d’autres avis. Mais aussitôt que les affaires devenaient difficiles on recourait à ces mêmes hommes qu’on avait si dédaigneusement repoussés. On ne balançait point à les employer dans des négociations dangereuses, sans être arrêté par la considération du péril auquel on les exposait :