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qui fonde, et les armes, qui conservent, se trouvaient réunies. Les Guaranis étaient cultivateurs sans avoir d’esclaves et guerriers sans être féroces ; immenses et sublimes avantages qu’ils devaient à la religion chrétienne, et dont n’avaient pu jouir, sous le polythéisme, ni les Grecs ni les Romains.

Ce sage milieu était partout observé : la République chrétienne n’était point absolument agricole, ni tout à fait tournée à la guerre, ni privée entièrement des lettres et du commerce ; elle avait un peu de tout, mais surtout des fêtes en abondance. Elle n’était ni morose comme Sparte, ni frivole comme Athènes ; le citoyen n’était ni accablé par le travail, ni enchanté par le plaisir. Enfin, les missionnaires, en bornant la foule aux premières nécessités de la vie, avaient su distinguer dans le troupeau les enfants que la nature avait marqués pour de plus hautes destinées. Ils avaient, ainsi que le conseille Platon, mis à part ceux qui annonçaient du génie, afin de les initier dans les sciences et les lettres. Ces enfants choisis s’appelaient la congrégation : ils étaient élevés dans une espèce de séminaire, et soumis à la rigidité du silence, de la retraite et des études des disciples de Pythagore. Il régnait entre eux une si grande émulation, que la seule menace d’être renvoyé aux écoles communes jetait un élève dans le désespoir. C’était de cette troupe excellente que devaient sortir un jour les prêtres, les magistrats et les héros de la patrie.

Les bourgades des réductions occupaient un assez grand terrain, généralement au bord d’un fleuve et sur un beau site. Les maisons étaient uniformes, à un seul étage, et bâties en pierres ; les rues étaient larges et tirées au cordeau. Au centre de la bourgade se trouvait la place publique, formée par l’église, la maison des Pères, l’arsenal, le grenier commun, la maison de refuge et l’hospice pour les étrangers. Les églises étaient fort belles et fort ornées ; des tableaux, séparés par des festons de verdure naturelle, couvraient les murs. Les jours de fête on répandait des eaux de senteur dans la nef, et le sanctuaire était jonché de fleurs de lianes effeuillées.

Le cimetière, placé derrière le temple, formait un carré long environné de murs à hauteur d’appui ; une allée de palmiers et de cyprès régnait tout autour, et il était coupé dans sa longueur par d’autres allées de citronniers et d’orangers ; celle du milieu conduisait à une chapelle où l’on célébrait tous les lundis une messe pour les morts.

Des avenues des plus beaux et des plus grands arbres partaient de l’extrémité des rues du hameau et allaient aboutir à d’autres chapelles bâties dans la campagne, et que l’on voyait en perspective. Ces monuments