Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/456

Cette page n’a pas encore été corrigée

Au baisser du jour, la cloche rappelait les nouveaux citoyens à l’autel, et l’on chantait la prière du soir à deux parties et en grande musique.

La terre était divisée en plusieurs lots, et chaque famille cultivait un de ces lots pour ses besoins. Il y avait, en outre, un champ public appelé la Possession de Dieu[1]. Les fruits de ces terres communales étaient destinés à suppléer aux mauvaises récoltes et à entretenir les veuves, les orphelins et les infirmes. Ils servaient encore de fonds pour la guerre. S’il restait quelque chose du trésor public au bout de l’année, on appliquait ce superflu aux dépenses du culte et à la décharge du tribut de l’écu d’or que chaque famille payait au roi d’Espagne[2].

Un cacique ou chef de guerre, un corregidor pour l’administration de la justice, des regidores et des alcaldes pour la police et la direction des travaux publics, formaient le corps militaire, civil et politique des réductions. Ces magistrats étaient nommés par l’assemblée générale des citoyens ; mais il paraît qu’on ne pouvait choisir qu’entre les sujets proposés par les missionnaires : c’était une loi empruntée du sénat et du peuple romain. Il y avait, en outre, un chef nommé fiscal, espèce de censeur public élu par les vieillards. Il tenait un registre des hommes en âge de porter les armes. Un teniente veillait sur les enfants ; il les conduisait à l’église et les accompagnait aux écoles, en tenant une longue baguette à la main ; il rendait compte aux missionnaires des observations qu’il avait faites sur les mœurs, le caractère, les qualités et les défauts de ses élèves.

Enfin, la bourgade était divisée en plusieurs quartiers, et chaque quartier avait un surveillant. Comme les Indiens sont naturellement indolents et sans prévoyance, un chef d’agriculture était chargé de visiter les charrues et d’obliger les chefs de famille à ensemencer leurs terres.

En cas d’infraction aux lois, la première faute était punie par une réprimande secrète des missionnaires ; la seconde, par une pénitence publique à la porte de l’église, comme chez les premiers fidèles ; la troisième, par la peine du fouet. Mais pendant un siècle et demi qu’a duré cette république, on trouve à peine un exemple d’un Indien qui ait mérité ce dernier châtiment. " Toutes leurs fautes sont des fautes d’enfants, dit le père Charlevoix : ils le sont toute leur vie en bien des choses, et ils en ont d’ailleurs toutes les bonnes qualités. "

  1. Montesquieu s’est trompé quand il a cru qu’il y avait communauté de biens au Paraguay : on voit ici ce qui l’a jeté dans l’erreur. (N.d.A.)
  2. Charlevoix, Hist. du Parag. Montesquieu a évalué ce tribut à un cinquième des biens. (N.d.A.)