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recours à un autre moyen pour gagner des âmes. Ils avaient remarqué que les sauvages de ces bords étaient fort sensibles à la musique : on dit même que les eaux du Paraguay rendent la voix plus belle. Les missionnaires s’embarquèrent donc sur des pirogues avec les nouveaux catéchumènes ; ils remontèrent les fleuves en chantant des cantiques. Les néophytes répétaient les airs, comme des oiseaux privés chantent pour attirer dans les rets de l’oiseleur les oiseaux sauvages. Les Indiens ne manquèrent point de se venir prendre au doux piège. Ils descendaient de leur montagne, et accouraient au bord des fleuves pour mieux écouter ces accents ; plusieurs d’entre eux se jetaient dans les ondes et suivaient à la nage la nacelle enchantée. L’arc et la flèche échappaient à la main du sauvage : l’avant-goût des vertus sociales et les premières douceurs de l’humanité entraient dans son âme confuse ; il voyait sa femme et son enfant pleurer d’une joie inconnue ; bientôt, subjugué par un attrait irrésistible, il tombait au pied de la croix, et mêlait des torrents de larmes aux eaux régénératrices qui coulaient sur sa tête.

Ainsi la religion chrétienne réalisait dans les forêts de l’Amérique ce que la fable raconte des Amphion et des Orphée : réflexion si naturelle, qu’elle s’est présentée même aux missionnaires[1] : tant il est certain qu’on ne dit ici que la vérité, en ayant l’air de raconter une fiction !


Chapitre V - Suite des Missions du Paraguay. — République chrétienne. Bonheur des Indiens

Les premiers sauvages qui se rassemblèrent à la voix des Jésuites furent les Guaranis, peuples répandus sur les bords du Paranapané, du Pirapé et de l’Uruguay. Ils composèrent une bourgade sous la direction des pères Maceta et Cataldino, dont il est juste de conserver les noms parmi ceux des bienfaiteurs des hommes. Cette bourgade fut appelée Lorette ; et dans la suite, à mesure que les églises indiennes s’élevèrent, elles furent comprises sous le nom général de réductions. On en compta jusqu’à trente en peu d’années, et elles formèrent entre elles cette république chrétienne qui semblait un reste de l’antiquité découverte au Nouveau-Monde. Elles ont confirmé sous nos yeux cette vérité connue de Rome et de la Grèce, que c’est avec la religion, et non

  1. Charlevoix. (N.d.A.)