Il restait encore au pied des Cordillères, vers le côté qui regarde l’Atlantique, entre l’Orénoque et Rio de la Plata, un pays rempli de sauvages, où les Espagnols n’avaient point porté la dévastation. Ce fut dans ces forêts que les missionnaires entreprirent de former une république chrétienne, et de donner du moins à un petit nombre d’indiens le bonheur qu’ils n’avaient pu procurer à tous.
Ils commencèrent par obtenir de la cour d’Espagne la liberté des sauvages qu’ils parviendraient à réunir. A cette nouvelle, les colons se soulevèrent : ce ne fut qu’à force d’esprit et d’adresse que les Jésuites surprirent, pour ainsi dire, la permission de verser leur sang dans les déserts du Nouveau-Monde. Enfin, ayant triomphé de la cupidité et de la malice humaines, méditant un des plus nobles desseins qu’ait jamais conçus un cœur d’homme, ils s’embarquèrent pour Rio de la Plata.
C’est dans ce fleuve que vient se perdre l’autre fleuve qui a donné son nom au pays et aux missions dont nous retraçons l’histoire. Paraguay dans la langue des sauvages signifie le fleuve couronné, parce qu’il prend sa source dans le lac Xarayès, qui lui sert comme de couronne. Avant d’aller grossir Rio de la Plata, il reçoit les eaux du Parama et de l’Uruguay. Des forêts qui renferment dans leur sein d’autres forêts tombées de vieillesse, des marais et des plaines entièrement inondées dans la saison des pluies, des montagnes qui élèvent des déserts sur des déserts, forment une partie des régions que le Paraguay arrose. Le gibier de toutes espèces y abonde, ainsi que les tigres et les ours. Les bois sont remplis d’abeilles, qui font une cire fort blanche et un miel très parfumé. On y voit des oiseaux d’un plumage éclatant, et qui ressemblent à de grandes fleurs rouges et bleues sur la verdure des arbres. Un missionnaire français qui s’était égaré dans ces solitudes en fait la peinture suivante :
" Je continuai ma route sans savoir à quel terme elle devait aboutir, et sans qu’il y eût personne qui pût me l’enseigner. Je trouvais quelquefois au milieu de ces bois des endroits enchantés. Tout ce que l’étude et l’industrie des hommes ont pu imaginer pour rendre un lieu agréable n’approche point de ce que la simple nature y avait rassemblé de beautés.
" Ces lieux charmants me rappelèrent les idées que j’avais eues autrefois en lisant les Vies des anciens solitaires de la Thébaïde. Il me vint en pensée de passer le reste de mes jours dans ces forêts, où la Providence m’avait conduit, pour y vaquer uniquement à l’affaire de mon salut, loin de tout commerce avec les hommes ; mais comme je n’étais pas le maître de ma destinée, et que les ordres du Seigneur