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donner de pareilles idées de Dieu au chef de plusieurs millions d’hommes : quel noble usage de la religion !

Le peuple, les mandarins, les lettrés, embrassaient en foule la nouvelle doctrine : les cérémonies du culte avaient surtout un succès prodigieux. " Avant la communion, dit le père Prémare, cité par le père Fouquet, je prononçai tout haut les actes qu’on fait faire en approchant de ce divin sacrement. Quoique la langue chinoise ne soit pas féconde en affections du cœur, cela eut beaucoup de succès… Je remarquai sur les visages de ces bons chrétiens une dévotion que je n’avais pas encore vue[1]. "

" Loukang, ajoute le même missionnaire, m’avait donné du goût pour les missions de la campagne. Je sortis de la bourgade, et je trouvai tous ces pauvres gens qui travaillaient de côté et d’autre ; j’en abordai un d’entre eux, qui me parut avoir la physionomie heureuse, et je lui parlai de Dieu. Il me parut content de ce que je disais, et m’invita par honneur à aller dans la salle des ancêtres. C’est la plus belle maison de la bourgade ; elle est commune à tous les habitants, parce que, s’étant fait depuis longtemps une coutume de ne point s’allier hors de leur pays, ils sont tous parents aujourd’hui et ont les mêmes aïeux. Ce fut donc là que plusieurs, quittant leur travail, accoururent pour entendre la sainte doctrine[2]. "

N’est-ce pas là une scène de l’Odyssée ou plutôt de la Bible ?

Un empire dont les mœurs inaltérables usaient depuis deux mille ans le temps, les révolutions et les conquêtes, cet empire change à la voix d’un moine chrétien parti seul du fond de l’Europe. Les préjugés les plus enracinés, les usages les plus antiques, une croyance religieuse consacrée par les siècles, tout cela tombe et s’évanouit au seul nom du Dieu de l’Evangile. Au moment même où nous écrivons, au moment où le christianisme est persécuté en Europe, il se propage à la Chine. Ce feu qu’on avait cru éteint s’est ranimé, comme il arrive toujours après les persécutions. Lorsqu’on massacrait le clergé en France et qu’on le dépouillait de ses biens et de ses honneurs, les ordinations secrètes étaient sans nombre ; les évêques proscrits furent souvent obligés de refuser la prêtrise à des jeunes gens qui voulaient voler au martyre. Cela prouve, pour la millième fois, combien ceux qui ont cru anéantir le christianisme en allumant les bûchers ont méconnu son esprit. Au contraire des choses humaines, dont la nature est de périr dans les tourments, la véritable religion s’accroît dans l’adversité : Dieu l’a marquée du même sceau que la vertu.

  1. Lettres édif., t. XVII, p. 149. (N.d.A.)
  2. Lettres édif., t. XVII, p. 152 et suiv. (N.d.A.)