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Chine, qui avaient passé trente et quarante années à la cour même des empereurs, qui parlaient et écrivaient la langue du pays, qui fréquentaient les petits, qui vivaient familièrement avec les grands, qui avaient parcouru, vu et étudié en détail les provinces, les mœurs, la religion et les lois de ce vaste empire, ces savants, dont les travaux nombreux ont enrichi les Mémoires de l’Académie des Sciences, se virent traités d’imposteurs par un homme qui n’était pas sorti du quartier des Européens à Canton, qui ne savait pas un mot de chinois et dont tout le mérite consistait à contredire grossièrement les récits des missionnaires. On le sait aujourd’hui, et l’on rend une tardive justice aux Jésuites. Des ambassades faites à grands frais par des nations puissantes nous ont-elles appris quelque chose que les Duhalde et les Le Comte nous eussent laissé ignorer, ou nous ont-elles révélé quelques mensonges de ces Pères ?

En effet, un missionnaire doit être un excellent voyageur. Obligé de parler la langue des peuples auxquels il prêche l’Evangile, de se conformer à leurs usages, de vivre longtemps avec toutes les classes de la société, de chercher à pénétrer dans les palais et dans les chaumières, n’eût-il reçu de la nature aucun génie, il parviendrait encore à recueillir une multitude de faits précieux. Au contraire, l’homme qui passe rapidement avec un interprète, qui n’a ni le temps ni la volonté de s’exposer à mille périls pour apprendre le secret des mœurs, cet homme eût-il tout ce qu’il faut pour bien voir et pour bien observer, ne peut cependant acquérir que des connaissances très vagues sur des peuples qui ne font que rouler et disparaître à ses yeux.

Le Jésuite avait encore sur le voyageur ordinaire l’avantage d’une éducation savante. Les supérieurs exigeaient plusieurs qualités des élèves qui se destinaient aux missions. Pour le Levant, il fallait savoir le grec, le copte, l’arabe, le turc, et posséder quelques connaissances en médecine ; pour l’Inde et la Chine, on voulait des astronomes, des mathématiciens, des géographes, des mécaniciens ; l’Amérique était réservée aux naturalistes[1]. Et à combien de saints déguisements, de pieuses ruses, de changements de vie et de mœurs n’était-on pas obligé d’avoir recours pour annoncer la vérité aux hommes ! A Maduré, le missionnaire prenait l’habit du pénitent Indien, s’assujettissait à ses usages, se soumettait à ses austérités, si rebutantes ou si puériles qu’elles fussent ; à la Chine, il devenait

  1. Voyez les Lettres édifiantes et l’ouvrage de l’abbé Fleury sur les qualités nécessaires à un missionnaire. (N.d.A.)