Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/439

Cette page n’a pas encore été corrigée

Chapitre I - Idée générale des Missions

Voici encore une de ces grandes et nouvelles idées qui n’appartiennent qu’à la religion chrétienne. Les cultes idolâtres ont ignoré l’enthousiasme divin qui anime l’apôtre de l’Evangile. Les anciens philosophes eux-mêmes n’ont jamais quitté les avenues d’Académus et les délices d’Athènes pour aller, au gré d’une impulsion sublime humaniser le sauvage, instruire l’ignorant, guérir le malade, vêtir le pauvre et semer la concorde et la paix parmi des nations ennemies : c’est ce que les religieux chrétiens ont fait et font encore tous les jours. Les mers, les orages, les glaces du pôle, les feux du tropique rien ne les arrête : ils vivent avec l’Esquimau dans son outre de peau de vache marine ; ils se nourrissent d’huile de baleine avec le Groenlandais ; avec le Tartare ou l’Iroquois ils parcourent la solitude ; ils montent sur le dromadaire de l’Arabe ou suivent le Cafre errant dans ses déserts embrasés ; le Chinois, le Japonais, l’Indien, sont devenus leurs néophytes ; il n’est point d’île ou d’écueil dans l’Océan qui ait pu échapper à leur zèle, et comme autrefois les royaumes manquaient à l’ambition d’Alexandre, la terre manque à leur charité.

Lorsque l’Europe régénérée n’offrit plus aux prédicateurs de la foi qu’une famille de frères, ils tournèrent les yeux vers les régions où des âmes languissaient encore dans les ténèbres de l’idolâtrie. Ils furent touchés de compassion en voyant cette dégradation de l’homme ; ils se sentirent pressés du désir de verser leur sang pour le salut de ces étrangers. Il fallait percer des forêts profondes, franchir des marais impraticables, traverser des fleuves dangereux, gravir des rochers inaccessibles ; il fallait affronter des nations cruelles, superstitieuses et jalouses ; il fallait surmonter dans les unes l’ignorance de la barbarie, dans les autres les préjugés de la civilisation : tant d’obstacles ne