Page:Chateaubriand - Œuvres complètes - Génie du christianisme, 1828.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée

père, croisait les mains sur sa poitrine, s’inclinait profondément et se retirait muet, comme la mort, dont il était l’interprète.

Croit-on qu’il y eût beaucoup de plaisirs (nous entendons de ces plaisirs à la façon du monde), croit-on qu’il fût fort doux pour un Cordelier, un Carme, un Franciscain, d’aller au milieu des prisons annoncer la sentence au criminel, l’écouter, le consoler et avoir pendant des journées entières l’âme transpercée des scènes les plus déchirantes ? On a vu dans ces actes de dévouement la sueur tomber à grosses gouttes du front de ces compatissants religieux et mouiller ce froc qu’elle a pour toujours rendu sacré, en dépit des sarcasmes de la philosophie. Et pourtant quel honneur, quel profit revenait-il à ces moines de tant de sacrifices, sinon la dérision du monde et les injures même des prisonniers qu’ils consolaient ! Mais du moins les hommes, tout ingrats qu’ils sont, avaient confessé leur nullité dans ces grandes rencontres de la vie, puisqu’ils les avaient abandonnées à la religion, seul véritable secours au dernier degré du malheur. O apôtre de Jésus-Christ ! de quelles catastrophes n’étiez-vous point témoin, vous qui près du bourreau ne craigniez point de vous couvrir du sang des misérables et qui étiez leur dernier ami ! Voici un des plus hauts spectacles de la terre : aux deux coins de cet échafaud, les deux justices sont en présence, la justice humaine et la justice divine : l’une, implacable et appuyée sur un glaive, est accompagnée du désespoir ; l’autre, tenant un voile trempé de pleurs, se montre entre la pitié et l’espérance ; l’une a pour ministre un homme de sang, l’autre un homme de paix ; l’une condamne, l’autre absout ; innocente ou coupable, la première dit à la victime : " Meurs ! " La seconde lui crie : " Fils de l’innocence ou du repentir, montez au ciel ! "