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vivants qui engagent l’infirme à quitter courageusement la vie ; mais ici c’est une chose plus sublime, c’est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l’éternité, il la doit mieux connaître qu’un autre, et, d’une voix qui résonne déjà entre des ossements, il appelle avec autorité ses compagnons, ses supérieurs mêmes à la pénitence. Qui ne frémirait en voyant ce religieux qui vécut d’une manière si sainte douter encore de son salut à l’approche du passage terrible ? Le christianisme a tiré du fond du sépulcre toutes les moralités qu’il renferme. C’est par la mort que la morale est entrée dans la vie : si l’homme, tel qu’il est aujourd’hui après sa chute, fût demeuré immortel, peut-être n’eût-il jamais connu la vertu [NOTE 35].

Ainsi s’offrent de toutes parts dans la religion les scènes les plus instructives ou les plus attachantes : là de saints muets, comme un peuple enchanté par un philtre, accomplissent sans paroles les travaux des moissons et des vendanges ; ici les filles de Claire foulent de leurs pieds nus les tombes glacées de leur cloître. Ne croyez pas toutefois qu’elles soient malheureuses au milieu de leurs austérités ; leurs cœurs sont purs et leurs yeux tournés vers le ciel en signe de désir et d’espérance. Une robe de laine grise est préférable à des habits somptueux achetés au prix des vertus ; le pain de la charité est plus sain que celui de la prostitution. Eh ! de combien de chagrins ce simple voile baissé entre ces filles et le monde ne les sépare-t-il pas !

En vérité, nous sentons qu’il nous faudrait un tout autre talent que le nôtre pour nous tirer dignement des objets qui se présentent à nos yeux. Le plus bel éloge que nous pourrions faire de la vie monastique serait de présenter le catalogue des travaux auxquels elle s’est consacrée. La religion, laissant à notre cœur le soin de nos joies, ne s’est occupée, comme une tendre mère, que du soulagement de nos douleurs ; mais dans cette œuvre immense et difficile elle a appelé tous ses fils et toutes ses filles à son secours. Aux uns elle a confié le soin de nos maladies, comme à cette multitude de religieux et de religieuses dévoués au service des hôpitaux ; aux autres elle a délégué les pauvres, comme aux sœurs de la Charité. Le père de la Rédemption s’embarque à Marseille : où va-t-il seul ainsi avec son bréviaire et son bâton ? Ce conquérant marche à la délivrance de l’humanité, et les armées qui l’accompagnent sont invisibles. La bourse de la charité à la main, il court affronter la peste, le martyre et l’esclavage. Il aborde le dey d’Alger, il lui parle au nom de ce roi céleste dont il est l’ambassadeur. Le barbare s’étonne à la vue de cet Européen qui ose