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le réveil de l’aurore. C’est là qu’il cherche l’Européen égaré à la poursuite de ces ruines fameuses ; c’est là que, le sauvant de l’Arabe, il l’enlève dans sa tour et prodigue à cet inconnu la nourriture qu’il se refuse à lui-même. Les savants vont bien visiter les débris de l’Égypte, mais d’où vient que, comme les moines chrétiens objet de leur mépris, ils ne vont pas s’établir dans ces mers de sable, au milieu de toutes les privations, pour donner un verre d’eau au voyageur et l’arracher au cimeterre du Bedouin ?

Dieu des chrétiens, quelles choses n’as-tu point faites ! Partout où l’on tourne les yeux, on ne voit que les monuments de tes bienfaits. Dans les quatre parties du monde la religion a distribué ses milices et placé ses vedettes pour l’humanité. Le moine maronite appelle, par le claquement de deux planches suspendues à la cime d’un arbre, l’étranger que la nuit a surpris dans les précipices du Liban ; ce pauvre et ignorant artiste n’a pas de plus riche moyen de se faire entendre ; le moine abyssinien vous attend dans ce bois, au milieu des tigres ; le missionnaire américain veille à votre conservation dans ses immenses forêts. Jeté par un naufrage sur des côtes inconnues, tout à coup vous apercevez une croix sur un rocher. Malheur à vous si ce signe de salut ne fait pas couler vos larmes ! Vous êtes en pays d’amis ; ici ce sont des chrétiens. Vous êtes Français, il est vrai, et ils sont Espagnols, Allemands, Anglais peut-être ! Et qu’importe ? n’êtes-vous pas de la grande famille de Jésus-Christ ? Ces étrangers vous reconnaîtront pour frère ; c’est vous qu’ils invitent par cette croix ; ils ne vous ont jamais vu, et cependant ils pleurent de joie en vous voyant sauvé du désert.

Mais le voyageur des Alpes n’est qu’au milieu de sa course ; la nuit approche, les neiges tombent : seul, tremblant, égaré, il fait quelques pas et se perd sans retour. C’en est fait, la nuit est venue : arrêté au bord d’un précipice, il n’ose ni avancer, ni retourner en arrière. Bientôt le froid le pénètre, ses membres s’engourdissent, un funeste sommeil cherche ses yeux ; ses dernières pensées sont pour ses enfants et son épouse ! Mais n’est-ce pas le son d’une cloche qui frappe son oreille à travers le murmure de la tempête, ou bien est-ce le glas de la mort que son imagination effrayée croit ouïr au milieu des vents ? Non : ce sont des sons réels, mais inutiles ! car les pieds de ce voyageur refusent maintenant de le porter… Un autre bruit se fait entendre ; un chien jappe sur les neiges ; il approche, il arrive, il hurle de joie ; un solitaire le suit.

Ce n’était donc pas assez d’avoir mille fois exposé sa vie pour sauver des hommes et de s’être établi pour jamais au fond des plus affreuses solitudes ? Il fallait encore que les animaux mêmes apprissent à devenir