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qui s’étendaient jusque sur ses repas et ses loisirs ; il ne pouvait disposer ni des heures de sa journée, ni des âges de sa vie ; on lui demandait un sacrifice rigoureux de ses goûts ; il fallait qu’il aimât, qu’il pensât, qu’il agît d’après la loi ; en un mot, on lui avait retiré sa volonté pour le rendre heureux.

Le vœu perpétuel, c’est-à-dire la soumission à une règle inviolable, loin de nous plonger dans l’infortune, est donc, au contraire, une disposition favorable au bonheur, surtout quand ce vœu n’a d’autre but que de nous défendre contre les illusions du monde, comme dans les ordres monastiques. Les passions ne se soulèvent guère dans notre sein avant notre quatrième lustre ; à quarante ans elles sont déjà éteintes ou détrompées : ainsi le serment indissoluble nous prive tout au plus de quelques années de désirs, pour faire ensuite la paix de notre vie, pour nous arracher aux regrets ou aux remords le reste de nos jours. Or, si vous mettez en balance les maux qui naissent des passions avec le peu de moments de joie qu’elles vous donnent, vous verrez que le vœu perpétuel est encore un plus grand bien, même dans les plus beaux instants de la jeunesse.

Supposons d’ailleurs, qu’une religieuse pût sortir de son cloître à volonté, nous demandons si cette femme serait heureuse. Quelques années de retraite auraient renouvelé pour elle la face de la société. Au spectacle du monde, si nous détournons un moment la tête, les décorations changent, les palais s’évanouissent ; et lorsque nous reportons les yeux sur la scène, nous n’apercevons plus que des déserts et des acteurs inconnus.

On verrait incessamment la folie du siècle entrer par caprice dans les couvents et en sortir par caprice. Les cœurs agités ne seraient plus assez longtemps auprès des cœurs paisibles pour prendre quelque chose de leur repos, et les âmes sereines auraient bientôt perdu leur calme dans le commerce des âmes troublées. Au lieu de promener en silence leurs chagrins passés dans les abris du cloître, les malheureux iraient se racontant leurs naufrages et s’excitant peut-être à braver encore les écueils. Femme du monde, femme de la solitude, l’infidèle épouse de Jésus-Christ ne serait propre ni à la solitude ni au monde ; ce flux et reflux des passions, ces vœux tour à tour rompus et formés, banniraient des monastères la paix, la subordination, la décence. Ces retraites sacrées, loin d’offrir un port assuré à nos inquiétudes, ne seraient plus que des lieux où nous viendrions pleurer un moment l’inconstance des autres et méditer nous-mêmes des inconstances nouvelles.

Mais, ce qui rend le vœu perpétuel de la religion bien supérieur à