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en employant les passions comme matériaux de l’édifice ressemblent à ces architectes qui bâtissent des palais avec cette sorte de pierre qui se fond à l’impression de l’air.

Les ordres religieux n’ont été, sous beaucoup de rapports, que des sectes philosophiques assez semblables à celles des Grecs. Les moines étaient appelés philosophes dans les premiers temps ; ils en portaient la robe et en imitaient les mœurs. Quelques-uns même avaient choisi pour seule règle le manuel d’Epictète. Saint Basile établit le premier les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Cette loi est profonde ; et si l’on y réfléchit, on verra que le génie de Lycurgue est renfermé dans ces trois préceptes.

Dans la règle de Saint-Benoît, tout est prescrit, jusqu’aux plus petits détails de la vie : lit, nourriture, promenade, conversation, prière. On donnait aux faibles des travaux plus délicats, aux robustes de plus pénibles ; en un mot, la plupart de ces lois religieuses décèlent une connaissance incroyable dans l’art de gouverner les hommes. Platon n’a fait que rêver des républiques, sans pouvoir rien exécuter : saint Augustin, saint Basile, saint Benoît, ont été de véritables législateurs et les patriarches de plusieurs grands peuples.

On a beaucoup déclamé dans ces derniers temps contre la perpétuité des vœux ; mais il n’est peut-être pas impossible de trouver en sa faveur des raisons puisées dans la nature des choses et dans les besoins mêmes de notre âme.

L’homme est surtout malheureux par son inconstance et par l’usage de ce libre arbitre qui fait à la fois sa gloire et ses maux, et qui fera sa condamnation. Il flotte de sentiment en sentiment, de pensée en pensée ; ses amours ont la mobilité de ses opinions, et ses opinions lui échappent comme ses amours. Cette inquiétude le plonge dans une misère dont il ne peut sortir que quand une force supérieure l’attache à un seul objet. On le voit alors porter avec joie sa chaîne ; car l’homme infidèle hait pourtant l’infidélité. Ainsi, par exemple, l’artisan est plus heureux que le riche désoccupé, parce qu’il est soumis à un travail impérieux qui ferme autour de lui toutes les voies du désir ou de l’inconstance. La même soumission à la puissance fait le bien-être des enfants, et la loi qui défend le divorce a moins d’inconvénients pour la paix des familles que la loi qui le permet.

Les anciens législateurs avaient reconnu cette nécessité d’imposer un joug à l’homme. Les républiques de Lycurgue et de Minos n’étaient en effet que des espèces de communautés où l’on était engagé en naissant par des vœux perpétuels. Le citoyen y était condamné à une existence uniforme et monotone. Il était assujetti à des règles fatigantes,