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que de dégoûts amers nous entraînent chaque jour hors du monde ! C’était une chose fort belle que ces maisons religieuses où l’on trouvait une retraite assurée contre les coups de la fortune et les orages de son propre cœur. Une orpheline abandonnée de la société, à cet âge où de cruelles séductions sourient à la beauté et à l’innocence, savait du moins qu’il y avait un asile où l’on ne se ferait pas un jeu de la tromper. Comme il était doux pour cette pauvre étrangère sans parents d’entendre retentir le nom de sœur à ses oreilles ! Quelle nombreuse et paisible famille la religion ne venait-elle pas de lui rendre ! un père céleste lui ouvrait sa maison et la recevait dans ses bras.

C’est une philosophie bien barbare et une politique bien cruelle que celles-là qui veulent obliger l’infortuné à vivre au milieu du monde. Des hommes ont été assez peu délicats pour mettre en commun leurs voluptés ; mais l’adversité a un plus noble égoïsme : elle se cache toujours pour jouir de ses plaisirs, qui sont ses larmes. S’il est des lieux pour la santé du corps, ah ! permettez à la religion d’en avoir aussi pour la santé de l’âme, elle qui est bien plus sujette aux maladies, et dont les infirmités sont bien plus douloureuses, bien plus longues et bien plus difficiles à guérir.

Des gens se sont avisés de vouloir qu’on élevât des retraites nationales pour ceux qui pleurent. Certes, ces philosophes sont profonds dans la connaissance de la nature, et les choses du cœur humain leur ont été révélées, c’est-à-dire qu’ils veulent confier le malheur à la pitié des hommes et mettre les chagrins sous la protection de ceux qui les causent. Il faut une charité plus magnifique que la notre pour soulager l’indigence d’une âme infortunée ; Dieu seul est assez riche pour lui faire l’aumône.

On a prétendu rendre un grand service aux religieux et aux religieuses en les forçant de quitter leurs retraites : qu’en est-il advenu ? Les femmes qui ont pu trouver un asile dans des monastères étrangers s’y sont réfugiées ; d’autres se sont réunies pour former entre elles des monastères au milieu du monde ; plusieurs enfin sont mortes de chagrin ; et ces Trappistes si à plaindre, au lieu de profiter des charmes de la liberté et de la vie, ont été continuer leurs macérations dans les bruyères de l’Angleterre et dans les déserts de la Russie.

Il ne faut pas croire que nous soyons tous également nés pour manier le hoyau ou le mousquet, et qu’il n’y ait point d’homme d’une délicatesse particulière, qui soit formé pour le labeur de la pensée, comme un autre pour le travail des mains. N’en doutons point, nous avons au fond du cœur mille raisons de solitude : quelques-uns y sont entraînés par une pensée tournée à la contemplation ; d’autres,