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Vallombreuse, ou celui de la Colombe, ainsi nommé à cause de son fondateur, colombe céleste qui vivait dans les bois. La Trappe et le Paraclet gardaient le nom et le souvenir de Comminges et d’Héloïse. Demandez à ce paysan de l’antique Neustrie quel est ce monastère qu’on aperçoit au sommet de la colline. Il vous répondra : " C’est le prieuré des deux Amants : un jeune gentilhomme étant devenu amoureux d’une jeune demoiselle, fille du châtelain de Malmain, ce seigneur consentit à accorder sa fille à ce pauvre gentilhomme, s’il pouvait la porter jusqu’au haut du mont. Il accepta le marché, et, chargé de sa dame, il monta tout au sommet de la colline, mais il mourut de fatigue en y arrivant, sa prétendue trépassa bientôt par grand déplaisir ; les parents les enterrèrent ensemble dans ce lieu, et ils y firent le prieuré que vous voyez. "

Enfin, les cœurs tendres auront dans les origines de nos couvents de quoi se satisfaire, comme l’antiquaire et le poète. Voyez ces retraites de la Charité, des Pèlerins, du Bien-Mourir, des Enterreurs de Morts, des Insensés, des Orphelins ; tâchez, si vous le pouvez, de trouver dans le long catalogue des misères humaines une seule infirmité de l’âme ou du corps pour qui la religion n’ait pas fondé son lieu de soulagement ou son hospice !

Au reste, les persécutions des Romains contribuèrent d’abord à peupler les solitudes ; ensuite les barbares s’étant précipités sur l’empire, et ayant brisé tous les liens de la société, il ne resta aux hommes que Dieu pour espérance et les déserts pour refuges. Des congrégations d’infortunés se formèrent dans les forêts et dans les lieux les plus inaccessibles. Les plaines fertiles étaient en proie à des sauvages qui ne savaient pas les cultiver, tandis que sur les crêtes arides des monts habitait un autre monde, qui, dans ces roches escarpées, avait sauvé comme d’un déluge les restes des arts et de la civilisation. Mais de même que les fontaines découlent des lieux élevés pour fertiliser les vallées, ainsi les premiers anachorètes descendirent peu à peu de leurs hauteurs pour porter aux barbares la parole de Dieu et les douceurs de la vie.

On dira peut-être que les causes qui donnèrent naissance à la vie monastique n’existant plus parmi nous, les couvents étaient devenus des retraites inutiles. Et quand donc ces causes ont-elles cessé ? N’y a-t-il plus d’orphelins, d’infirmes, de voyageurs, de pauvres, d’infortunés ? Ah ! lorsque les maux des siècles barbares se sont évanouis, la société, si habile à tourmenter les âmes et si ingénieuse en douleur, a bien su faire naître mille autres raisons d’adversité qui nous jettent dans la solitude ! Que de passions trompées, que de sentiments trahis,