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moins des hommes que des esprits bienfaisants descendus sur la terre pour soulager les misérables. Souvent ils se refusèrent le pain pour nourrir le nécessiteux, et se dépouillèrent de leurs habits pour en couvrir l’indigent. Qui oserait reprocher à de tels hommes quelque sévérité d’opinion ? Qui de nous, superbes philanthropes, voudrait durant les rigueurs de l’hiver être réveillé au milieu de la nuit pour aller administrer au loin dans les campagnes le moribond expirant sur la paille ? Qui de nous voudrait avoir sans cesse le cœur brisé du spectacle d’une misère qu’on ne peut secourir, se voir environné d’une famille dont les joues hâves et les yeux creux annoncent l’ardeur de la faim et de tous les besoins ? Consentirions-nous à suivre les curés de Paris, ces anges d’humanité, dans le séjour du crime et de la douleur, pour consoler le vice sous les formes les plus dégoûtantes, pour verser l’espérance dans un cœur désespéré ? Qui de nous enfin voudrait se séquestrer du monde des heureux pour vivre éternellement parmi les souffrances et ne recevoir en mourant pour tant de bienfaits que l’ingratitude du pauvre et la calomnie du riche ?


Chapitre III - Clergé régulier. — Origine de la vie monastique

S’il est vrai, comme on pourrait le croire, qu’une chose soit poétiquement belle en raison de l’antiquité de son origine, il faut convenir que la vie monastique a quelques droits à notre admiration. Elle remonte aux premiers âges du monde. Le prophète Elie, fuyant la corruption d’Israël, se retira le long du Jourdain, où il vécut d’herbes et de racines, avec quelques disciples. Sans avoir besoin de fouiller plus avant dans l’histoire, cette source des ordres religieux nous semble assez merveilleuse. Que n’eussent point dit les poètes de la Grèce s’ils avaient trouvé pour fondateur des collèges sacrés un homme ravi au ciel dans un char de feu, et qui doit reparaître sur la terre au jour de la consommation des siècles ?

De là la vie monastique, par un héritage admirable, descend à travers les prophètes et saint Jean-Baptiste jusqu’à Jésus-Christ, qui se dérobait souvent au monde pour aller prier sur les montagnes. Bientôt les Thérapeutes[1], embrassant les perfections de la retraite,

  1. Voltaire se moque d’Eusèbe, qui prend, dit-il, les Thérapeutes pour des moines chrétiens. Eusèbe était plus près de ces moines que Voltaire, et certainement plus versé que lui dans les antiquités chrétiennes. Montfaucon, Fleury, Héricourt, Hélyot et une foule d’autres savants se sont rangés à l’opinion de l’évêque de Césarée. (N.d.A.)