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commencement des siècles, les rois, les héros, les hommes éclatants, devenir les dieux des nations. Mais voici que le fils d’un charpentier dans un petit coin de la Judée, est un modèle de douleurs et de misère : il est flétri publiquement par un supplice ; il choisit ses disciples dans les rangs les moins élevés de la société ; il ne prêche que sacrifices, que renoncement aux pompes du monde, au plaisir, au pouvoir : il préfère l’esclave au maître, le pauvre au riche, le lépreux à l’homme sain ; tout qui ce pleure, tout ce qui a des plaies, tout ce qui est abandonné du monde fait ses délices : la puissance, la fortune et le bonheur sont au contraire menacés par lui. Il renverse les notions communes de la morale ; il établit des relations nouvelles entre les hommes, un nouveau droit des gens, une nouvelle foi publique : il élève ainsi sa divinité, triomphe de la religion des césars, s’assied sur leur trône, et parvient à subjuguer la terre. Non, quand la voix du monde entier s’élèverait contre Jésus-Christ, quand toutes les lumières de la philosophie se réuniraient contre ses dogmes, jamais on ne nous persuadera qu’une religion fondée sur une pareille base soit une religion humaine. Celui qui a pu faire adorer une croix, celui qui a offert pour objet de culte aux hommes l’humanité souffrante, la vertu persécutée, celui-là, nous le jurons, ne saurait être qu’un Dieu.

Jésus-Christ apparaît au milieu des hommes, plein de grâce et de vérité ; l’autorité et la douceur de sa parole entraînent. Il vient pour être le plus malheureux des mortels, et tous ses prodiges sont pour les misérables. Ses miracles, dit Bossuet, tiennent plus de la bonté que de la puissance. Pour inculquer ses préceptes, il choisit l’apologue ou la parabole, qui se grave aisément dans l’esprit des peuples. C’est en marchant dans les campagnes qu’il donne ses leçons. En voyant les fleurs d’un champ, il exhorte ses disciples à espérer dans la Providence, qui supporte les faibles plantes et nourrit les petits oiseaux ; en apercevant les fruits de la terre, il instruit à juger l’homme par ses œuvres. On lui apporte un enfant, et il recommande l’innocence ; se trouvant au milieu des bergers, il se donne à lui-même le titre de pasteur des âmes, et se représente rapportant sur ses épaules la brebis égarée. Au printemps, il s’assied sur une montagne, et tire des objets environnants de quoi instruire la foule assise à ses pieds. Du spectacle même de cette foule pauvre et malheureuse, il fait naître ses béatitudes : Bienheureux ceux qui pleurent ; bienheureux ceux qui ont faim et soif, etc. Ceux qui observent ses préceptes et ceux qui les méprisent sont comparés à deux hommes qui bâtissent deux maisons, l’une sur le roc, l’autre sur un sable mouvant : selon quelques